Même si le rapport aux différents types de musique est éminemment personnel, de mon côté, peu de sous-genres me filent autant la patate que le Crossover Thrash. Aussi, quand j’ai pioché la carte JUDICIARY dans la défausse de mon site de streaming favori, il me semblait avoir eu la main heureuse, tant celle-ci complète assez bien ma collection, en compagnie des POWER TRIP et autres GET THE SHOT. Subtil (si je peux m’exprimer ainsi en de pareille circonstances) mélange de Thrash et de Hardcore, le style convient en effet parfaitement à ma frénésie actuelle de sons bêtes et méchants, qui tapent aussi violemment au niveau de la mâchoire que des cervicales, et éveille en moi une force et une envie jadis ensevelie sous le poids du fardeau de la vie quotidienne.

Si le mélange peut paraître simpliste à première vue (en gros combiner la vitesse d’exécution des jeunes années du Big 4 avec l’authenticité d’origine contrôlée HxC), elle se heurte souvent soit à un déficit de technicité, soit à des vocaux plutôt répétitifs (soit encore à un manque cruel d’inspiration, mais ceci est un autre débat applicable à tous les courants musicaux). Concernant JUDICIARY, fort heureusement, ce n’est pas le cas. Enfin, pas vraiment si l’on reste objectif. Originaires du Texas tout comme la bande de feu Riley Gale, "Flesh + Blood" ne constitue pour autant que le second disque de la formation ricaine en bientôt dix ans d’existence, celle-ci ayant eu un peu de retard à l’allumage, il convient de le reconnaître.

Car il faut bien avouer que musicalement, le groupe sait y faire. Sans prétendre à la dimension culte atteinte par Tom Ayara et son crew, on dénotera une certaine similarité avec la férocité dont SLAYER a fait sa renommée, tant au niveau du riffing que des soli (ce qui est à mon sens malheureux pour ces derniers mais je sais qu’il y a par ici des fans enamourés des bouillies du roi Kerry). Tout cela pour dire que, globalement, ça sait jouer et ça va vite. Très vite, mais pas uniquement. Certains leads sont même relativement aériens ("Engulfed") et contribuent à poser des ambiances moins binaires que ce à quoi nous sommes habitués sur ce créneau.

Les atmosphères présentes dans ce "Flesh + Blood" constituent en effet le facteur X, qui rend la galette recommandable auprès d’un public habituellement peu réceptif au Crossover. L’aspect Metal, sombre et lourd, est très présent, bien plus que sur un BODY COUNT par exemple, et ne lésine pas sur les harmoniques ou les notes malsaines pour apporter une dimension supplémentaire, sans avoir besoin d’abuser des claviers. La présence de deux guitaristes offre d’ailleurs des possibilités que les gaillards ne se privent pas d’exploiter. "Paradigm Piercer" est l’une des plus brillantes illustrations, dans un registre mid-tempo qui contraste avec le rythme proposé généralement sur l’album. Plus "South Of Heaven" que "Angel Of Death" donc, pour être clair.

En parlant du flow des chansons, celui-ci est riche et emprunte à de nombreuses influences, y compris Death. Je trouve d’ailleurs une petite touche de GOJIRA sur les couplets de "Knife In The Dirt" par exemple, ma foi bien plaisante. JUDICIARY évolue en ce sens assez loin de ses congénères, souvent tentés par une voie unidimensionnelle ou concentrés sur les breakdowns à outrance, ce qui n’est pas le cas ici. "Flesh + Blood" développe ainsi un intérêt renouvelé au fur et à mesure des écoutes, conférant à l’ensemble une durée de vie certaine, porté également par une production d’un rare équilibre.

Reste que les vocaux sont très typés, à 99% Hardcore, sans proposer de grande variations à travers les morceaux, si l’on exclut le final d’"Eschatos Hemera", qui conclut les débats avec du chant clair de façon plutôt surprenante, voire incongrue. Sans aller nécessairement jusque-là, il existe bien des manières d’apporter du relief, que ce soit en allant explorer de façon aventureuse d’autres registres extrêmes ou de manière plus classique en travaillant sur les chœurs, de façon scandée par exemple. Il en résulte une impression latente de monotonie qui saura gagner certains auditeurs non aguerris sur la longueur, surtout s’ils ne sont pas friands de la chose habituellement. Heureusement, les Texans ont le bon goût de savoir doser leur effort. 10 pistes, à pleine plus d’une demi-heure, juste de quoi susciter l’envie de reprendre illico la castagne au départ plutôt que d’écourter l’expérience.

Il ne manque en fait qu’un petit quelque-chose à "Flesh + Blood" pour passer le cap qu’ils ne sont pas loin de franchir avec cet essai sophomore : quelques soli plus inspirés, un chant moins répétitif, et/ou un songwriting plus varié. C’est à la fois peu et beaucoup. Mais c’est aussi ce qui fait la différence entre la seconde division et la première league, entre un 3,5 arrondi à 4 et un 3,5 arrondi à 3.

Note réelle : 3,5/5.