D’aucuns pensent, et ils sont à ma connaissance majoritaires dans ce cas, qu’un concept-album peut être fichtrement utile pour booster le décollage d’une carrière musicale ou encore pour servir de point d’orgue couronnant une discographie à succès, et venant ainsi consacrer une popularité reconnue. Ça, c’est la version la plus courante ! À l’inverse, d’autres, moins nombreux mais plus originaux, estiment que le principe même du concept-album peut illustrer à lui seul l’intégralité d’une carrière au sein de laquelle il représente la norme. La musique se veut histoire, narration et univers imaginaires… qui s’en retrouvent ainsi irrémédiablement et systématiquement mêlés dans l’expression du groupe : choix ambitieux qui oriente la créativité du combo aussi bien dans le fond narratif que dans la forme musicale.

La formation allemande TOMORROW’S EVE fait pleinement partie de cette petite frange d’allumés qui tiennent fermement à ce dernier parti-pris et pour qui le concept-album est avant tout un art de vivre qui sert de base à chaque nouvelle sortie ! Metalleux adorateurs de la Déesse Science-fiction et autres rejetons de multivers, ces (bons) musiciens fans de Prog vont décider de mêler leurs deux passions, pour n’en faire qu’une encore plus intense, en baptisant d’abord leur formation au nom d’un roman français d’avant-garde du XIXème puis en égrainant des réalisations studio dans lesquelles de sombres récits de mondes futuristes viennent se télescoper à un Metal prog chargé et ambitieux dont ils forgent la couleur. Malgré un line-up capricieux à stabiliser, TOMORROW’S EVE lance son cri initial en 1999 avec un "The Unexpected World" suivi quatre ans plus tard par un "Mirror Of Creation" à la qualité bien surprenante pour un groupe qui brille surtout par son anonymat au doux pays Germano-Prog d’un VANDEN PLAS alors conquérant.

Les tribulations de l’infâme Professeur Brandon, désireux de créer un monde optimisé ayant déjà fait l’objet d’une chronique disserte sur ton metallo-webzine préféré, ô lecteur cultivé, je ne m’y attarderai pas ici. Il me semble néanmoins utile de préciser que le line-up de l’époque ne survivra malheureusement pas longtemps à cette seconde production, faisant en sorte que le guitariste et le clavier se retrouvent assez rapidement comme deux ronds de flan, l’entièreté de leur section rythmique ainsi que leur chanteur ayant décidé d’aller voir ailleurs si l’herbe était meilleure. Aussi, faute d’être justement reconnus pour leur art, Rainer Grund et Oliver Schwickert vont devoir faire preuve d’une belle ténacité en ralliant à leur cause de nouveaux membres dont un chanteur à la voix puissante ainsi qu’à la personnalité bien trempée en la personne de Martin Lemar. Celui-ci n’arrive d’ailleurs pas les mains vides, car en plus d’une expérience incontestable (BROKEN GLASS, LALU…), de ses capacités d’écriture, cette belle voix du Prog allemand propose également un guest en la personne de son pote Vivien Lalu, emblématique compositeur multi-instrumentiste français avec lequel il opère déjà !

Soucieux de respecter la signature artistico-imaginaire de TOMORROW’S EVE et ravi de contenter les membres du groupe qui veulent absolument donner une suite au "Mirror Of Creation" de 2003, le frontman se colle à l’écriture de cette suite qui deviendra la trame de fond de "Mirror Of Creation 2 - Genesis II" qui paraît ainsi en septembre 2006 et que nous examinons d’un peu plus près aujourd’hui. Porté par le Metal riche, justement riffé et armé de mélodies accrocheuses que maîtrisent si bien les instrumentistes de TOMORROW’S EVE, Lemar y conte le récit d’un homme amnésique découvert dans une ruelle et dont le passé trouble (en lien avec le monde optimisé dénoncé dans le chapitre de 2003) va lui revenir par fragments douloureux. Une douleur accentuée car également présente dans le sentiment amoureux qu’il vit avec une femme faisant partie de ses soignants... et qui semble être liée à son passé partiellement effacé : suspens, mémoire perdue, amour trouble mais passionné… les ingrédients incontournables du concept-album haletant semblent ici bien présents !

Nos Teutons stellaires enrobent les textes de Lemar par un Metal mélodique puissant aux variations finement travaillées et porté par des rythmiques tapageuses, ponctuellement massives mais sachant rester variées, auxquels le combo nous a maintenant habitués depuis les deux opus précédents. Le son est riche et un peu plus adapté à la musique extrêmement calorique de TOMORROW’S EVE que sur l’album précédent (j’avais alors utilisé le doux euphémisme de daté) mais "Mirror Of Creation 2" montre, s'il en est besoin, que trois ans après, le mix est à la hauteur des visées des Allemands. Ces bonnes prédispositions purement techniques sont confirmées par le haut niveau musical et la belle qualité de composition que mettent en œuvre les musiciens sur les onze titres (je ne tiens volontairement pas compte de l’intro scénarisée constituant la première piste) qui arment très honorablement cette suite de "Mirror Of Creation". Mélodies porteuses ou lancinantes, voix expressive sachant s’adapter aux multiples variations instrumentales comme aux sentiments contenus dans les textes, piano stimulant et claviers agiles, guitares dirigistes mais pas autoritaires aux rythmiques épaisses et aux soli bien présents même si on n’est pas forcément au niveau d’acrobaties guitar-héroesques… Socle basse-batterie solide et percutant, bien soudé à cet ensemble très dynamique… non seulement les musiciens de TOMORROW’S EVE n’ont pas à rougir de leur prestation collective, mais tout comme l’opus précédent, ils offrent avec "Mirror Of Creation 2 - Genesis II", un résultat d’une belle qualité, très convaincant et surtout diablement surprenant pour ces zicos qui brillent pourtant au panthéon des anonymes.

Alors oui, effectivement, les puristes pointilleux du concept-album pourront légitimement dénoncer une première partie un tantinet mollassonne caractérisée par le long et un peu convenu "The Eve Suite" dont les 9 min finissent par tourner un chouïa en rond ! À cela je répondrai par le rapide et accrocheur "Pain" aux variations intelligentes, le très prenant "The Market From Umbra" dont le rythme lent et pesant résonne de sonorités épiques, titres qui, s'ils ne révolutionnent pas le genre, viennent quand même soutenir la très honorable lancée impulsée par un "Amnesia" dont les jolies variations instrumentales font dignement le job comme titre d’ouverture.

Mais je leur vanterai surtout les mérites d’une seconde partie d’album où l’âme et la musique de TOMORROW’S EVE décollent vraiment, forts d’une envie et d’une cohérence qui en feraient pâlir des plus grands ou des plus connus et où les titres s’enchaînent en révélant des compos riches, inspirées et du coup très convaincantes : Qu’il s’agisse du puissant "The Irreversible" où la voix investie de Lemar joue avec la double grosse caisse, du riche et mélodique "Rebirth" dont le refrain lent et poignant à ravir s’oppose à un chant hurlé porté par de bons gros riffs, ou encore de ce très beau final (l’apanage du concept-album réussi !) que constitue le long et délectable "The Trials Of Man" et toutes ses variations développées autour de cette ligne de piano mélodico-obsédante… Du bien bel ouvrage, je vous le dis ! Par contre, je ne révélerai absolument rien sur la piste cachée à quatre minutes de la fin officielle de l’album… Tu l’écouteras par pur plaisir sadique lecteur obsédé !

Avec "Mirror Of Creation 2 – Genesis II", TOMORROW’S EVE rempli donc pleinement son contrat consistant à livrer une suite plus qu’honorable à la livraison initiale de 2003. Un challenge tenu envers et contre tous les changements de line-up et en conservant, excusez du peu, une belle cohérence artistique malgré ces aléas. Déployant un Metal riche et ambitieux porté par la voix accrocheuse d’un Lemar doublement investi, les Allemands offrent ici une œuvre à l’ambiance épaisse et aux finitions impeccables jouant à la fois sur les sentiments exprimés par de belles mélodies comme sur une musique nerveuse et rythmée. Le seul et unique reproche que l’on puisse en outre asséner à ces talentueux anonymes viendra en ce qui me concerne du fait que sans tomber dans le plagiat bête et méchant, TOMORROW’S EVE utilise néanmoins une recette et un style musical pour le moins déjà vu et entendu : j’ai, à titre personnel, beaucoup de mal à ne pas penser au chef d’œuvre concepto-révolutionnaire des Américains de QUEENSRŸCHE à l’écoute des frasques du héros de "Mirror Of Creation 2 – Genesis II". Cela ne gâche en rien mon écoute mais me prive peut-être d’un petit picotement supplémentaire !

Étant parvenu à me glisser dans la chambre de l’hôpital où est allongé ce jeune homme amnésique, je profite de son sommeil médicamenteux pour ouvrir son dossier médical et y inscrire un très mérité 4/5 pour cette belle échappée musicale de Metal Prog que constitue "Mirror Of Creation 2 – Genesis II" ! Le talent n’attend pas la popularité : Nos sympathiques allemands en sont la preuve vivante !

- pour l’ambiance lourde et prenante : "The Market From Umbra",
- pour la hargne rythmée : "The Irreversible",
- pour le final en apothéose et la ligne de piano : "The Trials Of Man".