Les jours passent et se ressemblent. Le temps file comme une étoile perdue dans l'immensité stellaire. La lassitude m'envahit et me donne à contempler l'existence-abîme, mon être fragile au cœur d'un cosmos hostile. "Kathodos" résonne comme le "Tekeli-li" lovecraftien. Un mot-chute, une sentence, un cri venu des âges. Les Grecs l'usaient pour qualifier un mouvement de chute perpétuel. Une plongée dans les abysses que SERPENT COLUMN restitue dans une forme de mysticisme toujours hachée par la violence du doute.

Si la foi sauve il y a des moments où je me crois perdu. Le doute parcourt mon esprit fatigué comme un rat creuse les entrailles du trépassé. Que reste-t-il de notre lien, Seigneur, lorsque j'erre comme un banni dans un corps las ? Je ne trouve parfois plus la force de t'appeler, je perds espoir en mes frères et sœurs humains, je sombre dans le gouffre creusé par notre siècle sans transcendance, ce même gouffre que tous les efforts du monde semblent ne pouvoir remplir. Le tragique m'habite parfois comme il traverse SERPENT COLUMN et ses riffs implacables, taillés dans le souffle de la Chute et imprégnés du poison du conflit intérieur. "Departure Of Splinters" nous jette ainsi dans une lutte entamée à laquelle nous sommes forcés de participer, terrifiant titre in media res, agression rampante aux allures de corps sombrant dans le néant. Peu d'artistes sont capables de restituer la violence du réel, le tragique qui l'accompagne et la faille ontologique qui peut nous traverser. SERPENT COLUMN hérite de la voyance rimbaldienne, il perçoit au-delà de la réalité, il a capté cette terreur cosmique tout autant que ce désir de retrouver le divin, et son Black Metal est un cri lancé dans le monde dont les échos fissurent l'espace et déchirent les êtres zombifiés par une existence sans but. Ce Black Metal frontal et pourtant déstructuré résonne d'autant plus en moi qu'il incarne l'alliance incroyable entre maîtrise technique et incandescence furieuse ("Dereliction" est une terreur Noise sans nom). J'ai toujours vu dans le génie artistique un météore qui, incapable de stopper sa course, se consume jusqu'à marquer pour toujours l'objet de son impact. SERPENT COLUMN est une comète venue des tréfonds de l'univers. Elle porte en son cœur une créature qui défie les lois de la logique mais reste dépendante de l'amour de Dieu.

"Mirrors in darkness" était l'armada de griffes infernales lacérant l'esprit traumatisé, "Endless Detainment" la violence nihiliste sans espoir. "Kathodos" plonge dans la mystique, tout en héritant de ces deux entités cataclysmiques. Bien plus atmosphérique sans tomber dans les écueils d'un Post Black Metal facile, c'est un album dont la froideur apparente dissimule une profondeur émotionnelle inédite. Le maître-mot reste le riff, la mélodie, la parfaite combinaison d'une batterie inhumaine, d'un cri perpétuel, d'une basse tragique et de guitares tournées vers la contemplation de l'abîme et le feu libérateur (superbe "Wind And Fog" qui rappelle l'hypnotique Black Metal de DEATHSPELL OMEGA). Éprouvant, "Kathodos" fait montre de davantage de retenue dans l'agressivité que "Mirrors In Darkness" et "Endless Detainment". SERPENT COLUMN prouve son talent mélodique lors d'interludes bienvenus, telles que "Seinsverlassenheit", expérience méditative et sensorielle magnifique ou "Night Of Absence", dont l'apparente quiétude masque un énième coup de couteau asséné par derrière.

"Kathodos" dépasse pourtant l'agression de ses prédécesseurs en abordant un aspect plus mélodique et contemplatif. SERPENT COLUMN se révèle toujours génial, maître absolu du riffing traditionnel ("Offering Of Tongues") mais surtout roi chaotique qui se complaît dans la déstructuration et la peinture d'une chute éternelle. Il incarne le mélange tragique entre Sisyphe et Satan tombant du ciel, une chute perpétuelle. Superbe fusion de mélodies déchirantes, de riffs terrifiants et d'atmosphères cosmiques, "Kathodos" est une nouvelle démonstration de force de la part de cet esprit habité par un feu qui le consumera dans son art incomparable.