L’air de rien, le parcours de FORGOTTEN TOMB est fascinant. Il dit long sur la capacité d’un artiste à se réinventer quand il le désire réellement. Quand il estime avoir fait le tour de sa question. Passer d'un Black Metal si dépressif de chez dépressif qu’on pensait que Herr Morbid finirait par se pendre, du haut de son pseudo prédestiné, à une sorte de Doom/Sludge toujours parsemé de spasmes Black mais capable d’évoquer autre chose que l’envie de se tailler les veines, c’est spectaculaire. Spectaculaire car la formation italienne y est parvenue en peu d’efforts. Du moins, à ce qu’il semble.

Au moment d’enregistrer, Live in studio, l’album "Vol. 5: 1999-2009", composé essentiellement de réenregistrements d’anciens titres et de morceaux de grands noms du Metal (au hasard, BLACK SABBATH), l’affaire était pliée dans le crâne du leader du groupe transalpin. Et bientôt dans nos oreilles. Le corpse paint allait couler définitivement des visages dégoulinants de sueur pour former la gadoue que foulerait désormais FORGOTTEN TOMB. Aujourd'hui, cette gadoue dans laquelle il nous immerge est grasse et provoque toujours une bonne dose de désespoir quand on constate qu’on s’enfonce dedans.

C'est FORGOTTEN TOMB qui nous y enfonce, la semelle de sa ranger sur le sommet de notre crâne. Il veut nous en faire bouffer de sa fange, même qu’il y ajoute un peu de sang de son cœur qui saigne. Ah non, c’est le goût du nôtre, tout frais extrait de notre cœur qu’il serre à pleine main et qui nous remonte le gosier, que l’on ressent. L'hémoglobine a un goût de fer. Et la musique des Ritals sur "We Owe You Nothing", un goût de Metal Lourd, de Heavy Metal qui puise son énergie dans le BLACK SAB’ de la grande époque et puis dans le Doom des grands anciens du genre. Mais pas que, pas que.

Ce neuvième album studio, déjà, est riche de tout un tas de genres musicaux chers à mon cœur, et peut-être au vôtre. Heavy, Doom (et même sacrément sur "Longing For Decay" !), OK. Mais aussi Sludge, Punk, voire Dance Punk (!) et Rock. Et toujours un soupçon de Black pour faire méchant et de Gothique pour faire triste. Et c’est pas mal du tout, ce mélange de saveurs qui nous vient en bouche lorsqu’y pénètre la fameuse gadoue grasse, à mesure qu'appuie sur notre tête la tatane d’Herr Morbid. Mais l’homme et son orchestre ne font pas de cette mixture un bouillon de culture.

C'est une succession de veloutés goûtus assaisonnés comme il faut qui nous sont servis, passée la sensation d’avoir gobé de la glaise. Du Doom à l’ancienne du morceau-titre, qui ouvre l’album fort à propos, parsemé dès le départ de bends distordus, FORGOTTEN TOMB nous extrait des soli Heavy, un chant loin de ses années Black mais qui, soudain, l’espace de quelques secondes, se refait scream pour vider quelques vers de haine. Bien sûr, Herr Morbid sait toujours nous gratifier de ses ritournelles délétères, à la guitare, capables de dissoner après avoir si joliment sonné, pour un sentiment de malaise prononcé.

Les amoureux, comme moi, des trois premiers opus des Italiens, ressentiront encore au détour des titres de ce neuvième L.P., le sentiment de mal-être qui pouvait les saisir jadis à l'ouï de FORGOTTEN TOMB. En particulier sur "Second Chances", qui sait habilement convoquer le Black dépressif et ses parties de guitare plaintives des débuts pour l'infuser dans un ensemble tirant autant vers le Doom que le Sludge. La voix d’Herr Morbid s’y adapte fort bien, d’ailleurs. Le Sludge, justement, vous pète en bouche lorsque retentit "Saboteur", l’un des plus abrasifs des six titres ici gravés.

Il est l’antithèse, en termes d’agressivité, de "Abandon Everything", Punk dans l’esprit mais drôlement dansant avec son riff endiablé… Il ne manquait plus que ça : que FORGOTTEN TOMB nous fasse danser gaiement ! Le pire, au fond, étant que ce morceau s'intègre admirablement à l’ensemble du menu de ce disque. Car il s'étend, dépasse les huit minutes et se transforme en nouvelle ode à la dépression dès la troisième. C'est toute la palette des sentiments humains que Herr Morbid voudrait nous faire vivre en si peu de temps. Il n’y parvient pas totalement, bien sûr, mais la tentative est remarquable et l’essai presque transformé.

Résolument, FORGOTTEN TOMB est devenu un catalyseur d’expressions musicales après avoir été longtemps un catalyseur d’expressions uniquement négatives. Oh, la négativité ne l’a pas quitté, non... Mais il saisit mieux aujourd'hui toute la variété des effets que peut provoquer sa musique lorsqu’elle passe du Doom au Punk, du Sludge au Black, du Heavy au Gothique. Avec sa science de la composition et du malaise, et après nous avoir donné l’impression de nous noyer dans une boue étouffante, Herr Morbid nous gratifie de l’un de ses plus beaux et digestes menus, à base de sentiments complexes et terriblement humains.