"Nihilistic Estrangement" est un patchwork. Un assemblage de morceaux représentatifs d'à peu près tous les styles de Metal abordés par FORGOTTEN TOMB durant sa carrière. Et je peux vous dire qu'il y en a ! Du Black au Gothique en passant par le Doom, bien sûr, le Sludge et même le Heavy, la formation italienne ne s'est jamais vraiment mis de barrières, pourvu que ces différents genres la servent dans sa quête permanente de transmettre le sentiment de malaise et de désespoir qui infuse son œuvre toute entière. Car même si le rendu de sa musique est devenu sensiblement plus léger qu'il y a quinze ans, époque où l'écoute de ses disques donnait carrément envie de se taillader les poignets, l'art de Herr Morbid et de ses sbires n'a jamais respiré la joie de vivre.

De tous les genres musicaux cités ci-dessus, cependant, c'est encore le Doom Metal qui a le plus droit de cité sur ce dixième album studio des Placentins. C'est d'ailleurs un comble que l'un des combos les plus dépressifs d'Italie soit originaire de Plaisance, vous ne trouvez pas ? Pour aller comme un gant à FORGOTTEN TOMB, l'on devrait renommer la cité Complaisance, tant le groupe se complaît dans son expression de la souffrance morale. Quoique, avec l'esprit quelque peu sarcastique et l'humour noir qui le caractérise, Herr Morbid doit trouver cela très amusant d'être originaire d'une ville ainsi dénommée. Il faut avouer que cela prête à rire… jaune.

Je parlais de Doom, donc, et force est de constater qu'en la matière, FORGOTTEN TOMB reste pertinent. Il suffit d'écouter les deux volets de "Iris' House", témoignage d'un malade incurable en quête d'euthanasie, pour s'en convaincre. C'est sur ce diptyque que la formation émilienne se montre la plus efficace, la plus à même de convoquer les sentiments négatifs qu'elle aime générer. La première partie, d'une rondeur et d'une lancinance remarquable, qui nous amène progressivement vers un solo de guitare plaintif du meilleur effet, est très réussie. La deuxième, plus rugueuse, plus circulaire que linéaire de par l'alternance de certains riffs, est peut-être moins subtile que la première mais elle vient refermer sur l'auditeur le couvercle du cercueil qui attend le protagoniste de cette histoire courte.

Une réussite certaine qui n'est pas encadrée comme elle le devrait. D'un côté, "Active Shooter", Heavy et bien balancé, s'avère immédiat et drôlement accrocheur. Particulièrement varié et capable de transmettre toute une palette de sentiments, du simple spleen contemplatif à la colère en passant par la résignation, c'est presque un tube, paradoxalement, que nous pond-là FORGOTTEN TOMB. Un titre qui aurait presque les arguments pour passer en radio s'il ne durait pas plus de 8'30 et si les vocaux écorchés du frontman n'étaient pas au rendez-vous. En ce qui me concerne, je préfère qu'ils soient là car ils sont pour beaucoup dans l'expressivité du morceau. De l'autre côté, "Distrust³" est bien plus laborieux et en dehors de son motif de guitare final et des vociférations de Herr Morbid, l'on n'en retient pas grand-chose.

Du côté du Black Metal, là aussi, FORGOTTEN TOMB a un peu perdu de sa superbe. Il faut dire, aussi, que c'est dans ce domaine-là que le groupe nous a offert ses plus grands succès, de "Songs To Leave" au magistral "Love's Burial Ground". Et si le titre conclusif qu'est "RBMK" reste un morceau de Black supérieur à la moyenne dans son exécution, notamment de par l'épaisseur que la basse d'Algol offre au tremolo picking de Herr Morbid et par la présence permanente d'arpèges dissonants par-delà les riffs de guitare, force est de constater que FORGOTTEN TOMB parvient moins que par le passé à exacerber la haine de soi et des autres qui distingue sa musique.

L'on ressort donc de l'écoute de "Nihilistic Estrangement" à moitié rassuré et à moitié décontenancé. Certes, FORGOTTEN TOMB sait toujours faire les choses correctement et composer avec soin dans n'importe quel genre de Metal qu'il choisit de forger et l'ensemble des morceaux ici gravés tiennent debout. Mais ils n'ont plus la même force évocatrice que par le passé. Un passé encore récent, d'ailleurs, puisque le précédent longue-durée des Italiens, "We Owe You Nothing", avec son côté Sludge prononcé, nous enfonçait la tronche dans la gadoue avec une détermination sans faille et jusqu'à l'étouffement.

Or, là, c'est comme si ce bourreau de l'âme qu'est FORGOTTEN TOMB se retenait de nous faire souffrir pour de bon… Il nous fait mal, il nous peine, il nous dégoûte parfois de nous-mêmes, mais ce ne sont jamais que des sensations passagères finalement, qui ne survivent pas au temps d'écoute du disque, alors qu'un "Love's Burial Ground" pouvait nous hanter des jours et des semaines après son dernier tour de platine. L'étonnamment aérien et carrément Goth morceau-titre y est d'ailleurs pour quelque chose. Il est plutôt joli, éthéré, parfois, mais il n'a pas l'impact qu'on pourrait en attendre. Il ne fait pas effet sur la durée et aussi bien composé soit-il, il lui manque une certaine part d'âme. Ce que l'on peut dire d'une bonne partie de l'album, hélas.