Voici donc Timo Tolkki devenu homme à tout faire chez Frontiers. Malgré le prestige de ce label-référence, mastodonte qui s'accapare la moitié du marché Hard/Heavy mélodique, on aurait pu imaginer l'ex-tête pensante de STRATOVARIUS dans un autre rôle que celui de l'exécutant compositeur-producteur-musicien, à occuper un poste fort prisé au sein du label italien, les Magnus Karlsson (PRIMAL FEAR) et autre Alessandro Del Vecchio (HARDLINE, THREE LIONS) écrivant et œuvrant déjà sur une bonne partie des sorties du label. Reste qu'après la déconvenue REVOLUTION RENAISSANCE et l’embarrassant Rock Opera en deux volets "Avalon" (à l'inspiration et au mixage approximatifs), voici ce bon Timo propulsé chef du projet ALLEN-LANDE. Attention, gros morceau, et grosses responsabilités. Car voici là un des rares projets fabriqués, montés de toutes pièces par Frontiers, qui n'a encore jamais déçu. La collaboration entre ces deux chanteurs d'exception dure depuis maintenant 9 ans, et à donné naissance à trois albums fort bien composés et interprétés, dans un registre Heavy mélodique moderne et musclé : "La bataille", "La revanche" et "La belle".

Les dirigeants de Frontiers n'avaient sans doute pas envisagé de quatrième opus, puisqu'après la belle, normalement, c'est la fin du match. Avec "The Great Divide", le label tente d'ouvrir une nouvelle porte, de rafraîchir une formule qui, sans être usée, a néanmoins montré ses limites au bout de trois albums. Reste que, répondant à un cahier des charges bien établi, Timo Tolkki se fond dans le projet plus qu'il ne l'adapte à sa personnalité. Bien qu’œuvrant à tous les postes (compositeur, bassiste, guitariste, producteur...), le bonhomme construit un album s'inscrivant dans la droite lignée de ses prédécesseurs, seuls quelques influences néo-classiques et quelques claviers sautillants ("Dream About Tomorrow", façon "Black Diamond") viennent témoigner de la présence de l'ex-STRATOVARIUS.

Tant mieux, car les stars, bien entendu, restent les chanteurs. Comme à leur habitude, ces derniers s’époumonent sur des titres mêlant souvent couplets agressifs et refrains très accessibles, aux mélodies instantanées et très efficaces. Il suffit de se pencher sur le premier titre pour avoir une idée de la teneur de l'opus. Si vous parvenez à faire abstraction de la mélodie du refrain, qui rappellera aux esprits à peine tordus "Chez Laurette" de Michel DELPECH, il devient très rassurant de découvrir un Timo Tolkki encore capable d'écrire de belles choses, bien que formatées pour coller à la "marque" ALLEN-LANDE. Les deux chanteurs officient à tour de rôle sur ce titre dont le mélange entre agressivité et mélodie sied plutôt au timbre chaud et affûté de Jorn Lande. Là où ce dernier est parfaitement à l'aise (et livre une prestation bien plus convaincante que sur ses derniers opus solos), le chanteur de SYMPHONY X semble un peu à la peine. Bien sûr, Russell Allen reste un vocaliste fort compétent, ses lignes vocales inquiétantes et sombres sur "Reaching For The Stars" suffisant à le prouver, mais face à la puissance et au groove naturel d'un Jorn au top de sa forme, il peine à faire le poids. Comme un poisson dans l'eau, le Norvégien, qui a bien fait de mettre en parenthèses sa carrière solo stagnante, se fait irrésistible sur ces titres énergiques et très accessibles qui sont la marque de fabrique des albums du duo. Sur "Down From The Mountain", il se fait agressif, proche de son idole Dio. Sur le fantastique refrain du speed "In The Hands Of Time", il laisse Russell Allen reprendre la main avant d'écraser toute concurrence avec le morceau-titre et ses 6'40 au garrot, qu'il rend lyrique et épique à souhait.

L'ensemble reste de très bonne facture, bien que légèrement moins marquant que les albums précédents. Un léger sentiment de redite surgit parfois, le piano de "Bittersweet", rappelant par exemple celui du splendide "Master Of Sorrow", sur "The Revenge". L'ensemble manque quelque peu de progression, et peut paraître un peu plat. Le solo du morceau-titre, qui s'épanouit sur un mid-tempo sympathique, est un peu peine à jouir. Si certaines mélodies sont marquantes et de grande qualité, c'est véritablement le chant qui porte sur ses épaules les compositions, là où les opus signés Karlsson donnait une impression de fusion entre les lignes vocales et mélodiques.

Ouf néanmoins, Timo Tolkki n'a pas ruiné notre belle série des ALLEN-LANDE. En restant fidèle aux codes immuables de la franchise, en livrant des morceaux-prétextes à une belle démonstration vocale des deux chanteurs, il prouve sa capacité à se fondre dans un univers existant et à en épouser la substance. Les amateurs de Jorn seront aux anges tant le bonhomme est ici à son aise, tandis que Russell Allen marque quelque peu le pas, peinant à se faire véritablement convaincant sur d'autres albums que ceux de SYMPHONY X. Ce quatrième opus de la franchise regorge néanmoins de refrains marquants et de mélodies convaincantes, et poursuit la saga avec panache et réussite. Mêmes joueurs jouent encore !

3,5/5.