Toucher la chair. On en avait déjà parlé fin 2013 avec "More Constant Than The Gods". La caresser, l'effleurer, la pénétrer, doucement et tendrement. S'il est encore une fois question de chair et d'origine américaines, les accusés sont loin d'être des tendres amants aux velléités voluptueuses, pulpeuses et volatiles. Oubliez "Nightmare Flesh Offering" aussi vite que vous l'avez écouté. Recentrez-vous sur "De Masticatione..." et imaginez que celui-ci n'était qu'un hors d'œuvre.

Si ÆVANGELIST nous avait déjà montré de quel sang il était fait — celui qui pulse aussi franchement et rapidement qu'un coupe-viande, celui d'un prédateur aussi dangereux et dévastateur qu'il est affamé, exsangue, vorace et torturé — il était temps de confirmer avec ce second essai, et le passage de I, Voidhanger (dénicheur de talents) à Debemur Morti (fierté nationale ?), qu'il en avait dans les bourses, et qu'il pouvait — lui aussi — avaler, concasser, broyer, puis recracher en moins de deux la pitance fraîchement pourchassée.

Le groupe sait rester fidèle à lui-même et à sa spécificité : cet aspect organique, vivant, qui galope au rythme de votre cœur, fataliste puisqu'inévitable. On retrouve encore une fois cette bête innommable, déployant ses membres avec la facilité des êtres suprêmes, soufflant son haleine chargée dans notre cou, bien conscient de son ascendant aussi bien psychologique que physique. "De Masticatione..." n'était que le début, tout prenant ici une dimension majestueuse puisque magnifiée. Des chœurs enrobant des titres entiers galette-de-riz-style, à l'hallucination sonore constante entretenue par des guitares tordues qui se contorsionnent jusqu'à ce que cris de douleurs s'en suivent et vision de l'Au-Delà adviennent, ÆVANGELIST sort le grand jeu, immerge, dévore.

Si le premier opus nous plaçait dans la mâchoire du monstre, entre les canines ruisselantes de sucs, ce n'est pas nous qui sommes emmenés dans les entrailles de la Bête sur "Omen Ex Simulacra", mais celle-ci qui se débat en nous, griffant chaque centimètre de peau, nous écorchant, étirant chaque zone libre et surplus calorique. L'échappatoire n'est plus qu'une notion lointaine que l'on a oublié, de proie nous sommes passés à nid. Nid d'un beau joujou de deux fois notre taille et trois fois notre poids, se débattant, griffant, mordant, déchirant, distordant, criant, lacérant, pendant que sa meute — toujours la même, nous fait subir les pires cauchemars. De la course-poursuite l'on passe gentiment à la dévoration des entrailles, au broyage, des os, à la succion non sans déchirures et éclats, de l'Âme.

Dans un accès de lucidité et par la chance des plus méritants, ÆVANGELIST accouche d'un album extrêmement bien jaugé — au travail sonore qui ravira les amateurs d'albums denses mais renfermant bel et bien un cœur dur et consistant — à la présence d'esprit d'ouvrir les hostilités par la pièce la moins intéressante du lot pour escalader d'échelons en échelons les murs impénétrables de la folie, construire des montagnes de riffs, puis engloutir définitivement le Monde. Anéantir dans un dernier acte charnel n'aurait-elle pas été sa seule et unique volonté ? Après tout.


Those who did wander there did not wander far.


Note réelle: 4,5/5.