Après un étonnant "Grotesque" et le mystérieusement introuvable "Ceci Est De La Musique", notre bon Vaerohn revient nous montrer sa nouvelle œuvre intitulée "Nom D'Une Pipe !". Et ce n'est pas pour rien, car c'est une sortie majeure dans la discographie de PENSÉES NOCTURNES, dont Les Acteurs De L'Ombre ont fait la promotion à travers toute la toile française, notamment ici chez NIME où vous pouviez gagner l'album encore récemment.

La première chose qui saute aux yeux, c'est bien évidemment l'artwork qui, vu de l'extérieur semble relativement banal (même si meilleur que pour les précédentes productions du one-man band), mais est doté d'un livret assez exceptionnel. Si l'ensemble de la présentation est vraiment plaisante, on peut également y voir une femme-pieuvre, un véritable petit rat de l'opéra, une acrobate aérienne sur une corde qui relie les aiguilles d'une horloge, ou encore une étreinte sensuelle d'escargots. Toute une poésie propre à l'univers du projet musical fou qu'on connaît bien maintenant. On remercie Justine Métairie et Camille Roudier (mais si rappelez-vous, je vous avais parlé de son groupe VCID).

Reprenons donc où nous en étions avec "Grotesque". Le Vieux Léon revient parmi les vivants pour cette "comédie musicale pour malentendant" divisée en actes, où il prend une place majeure avec son accordéon. Mais cette fois-ci, nous ne sommes pas face à un fouillis de génie, en tout cas pas complètement. "Nom D'Une Pipe !" est clairement beaucoup plus abouti, mieux organisé. En résumé, ça part moins dans tous les sens, même si on ne pourra pas enlever à Vaerohn cette envie de mélanger les genres qui lui sont chers de façon imprévisible.

Parce que oui, on nous a habitués à du Black Metal, de la dépression pur jus, du Néoclassique, du Jazz ou du Blues. Mais on pousse le vice encore plus loin aujourd'hui, avec un album qui swingue, aux influences encore plus vastes et marquées. Du reggae chez "Le Marionnettiste", une fanfare espagnolisante avec "Les Hommes À La Moustache", "La Sirène" et sa berceuse, une valse diabolique avec un petit côté Fantasia sur "Bonne Bière Et Bonne Chère", et toujours des chants variés, toutes sortes d'instruments à cordes, et de nombreux autres allant du cor anglais au basson en passant par la clarinette. Musette Black Metal, tout à fait monsieur.
Bien évidemment, on retrouve l'accordéon qui a une place de maître dans plusieurs morceaux. Et il a le beau rôle sur "Le Marionnettiste" et "L'Androgyne" plus particulièrement, qui sont de véritables coups de cœur pour moi. Et les mélodies de cet accordéon magique n'y sont pas pour rien.
Tout de même, Vaerohn ne laisse pas de côté ce qu'il aime dans l'aspect Black Metal qu'il présente depuis déjà plusieurs opus, de la dissonance, de la puissance, du chant hurlé neurasthénique et haineux.

L'album décrit des personnages, des images fortes dans une prose originale qui forme de petites fictions mises en musique. Les textes du livret ne sont en fait pas les paroles, bien qu'on en reconnaisse quelques mots parfois. Ils ont plutôt l'air d'accompagner les morceaux, car il en existe même pour les instrumentaux. Cependant, ils sont ceux d'un poète, qui peint dans ses textes et sa musique ses rêves et ses cauchemars, les deux à la fois, un poète qui joue sur tous les mots dès qu'il en voit l'occasion, qui insère de la vulgarité ou de l'humour décalé aux côtés de belles métaphores.
J'en retiendrai tout particulièrement : "La tortillas, c'est comme la sodomie, il faut pile poil la bonne quantité d'huile d'olive."

Dans ce recueil d'histoires plus incompréhensibles les unes que les autres, entre horreur et onirisme de mauvais goût, une troupe de personnages étranges tentent de faire jouer leur musique enjouée et insalubre. Ça m'a tout de suite fait penser à la description d'un "orchestre vicieux" qu'on peut entendre sur un morceau du groupe québécois GRIS, "Le Gala Des Gens Heureux". On a d'ailleurs un petit côté MISERERE LUMINIS sur certains passages, je pense au titre "Le Berger".

PENSÉES NOCTURNES n'est pas un quelconque projet de Black Metal étiqueté avant-gardiste. Ce n'est même pas du Black Metal. C'est unique. Et il y a certainement une mauvaise foi de la part de ceux qui n'hésitent pas à cracher sur cet artiste qui atteint selon moi une hauteur inespérée dans la discographie avec cet opus, et dans tous les cas, démontre une inspiration énorme, et un résultat débordant d'expérimentations intéressantes et nouvelles.

Cet album est un opéra pour déments, un cabaret malsain, une pièce de théâtre jouée par des chimères, avec un public de cadavres qui sourient. Tout et n'importe quoi, surtout n'importe quoi, tout en gardant une cohérence.

N'ayez pas peur, écoutez : "L'Androgyne", "La Sirène", "Le Marionnettiste"