Il n’aura pas fallu beaucoup de temps à la Yougoslavie pour s’effondrer à la mort de Tito. Les jeux olympiques de Sarajevo en 1984 n’auront pas réussi à entièrement cacher que le pays était au bord de l’implosion et à l’effondrement du bloc soviétique, c’est un agglomérat de plusieurs civilisations qui s’est livré à une guerre épouvantable. Au milieu de ce chaos en préparation, LAIBACH a publié "Opus Dei" en 1987, qui avec le recul ressemble au faire-part de décès de la Yougoslavie et de l’avènement de la Slovénie comme un État à part entière.

Pourtant, LAIBACH se traîne une sale réputation. Le groupe récupère volontiers une imagerie nazie, dans le choix des costumes ou même du nom de la formation : Laibach est le nom germanisé de Ljubljana, que les Allemands se sont empressés de rétablir dans les années quarante. Il s’agit d’un pays frontalier à l’Autriche, plutôt germanophile, ce qui explique l’usage important de la langue de Goethe dans les textes. Mais les paroles sont scandées de façon quasi-militaire, renvoyant aussi bien à l’armée qu’à un système totalitaire.

Sulfureux, LAIBACH transforme, avilit tout ce qu’il touche. Il se fait maître dans l’art de la reprise, mais il évite soigneusement de reprendre KRAFTWERK, seul combo qu’il accepte de citer comme référence. Souvenez-vous de "Life Is Life" d’OPUS. LAIBACH la transforme complètement. Le côté gentillet de l’originale fond complètement dans une noirceur épique, martiale et poisseuse. C’est clairement sur un tel morceau que nous pouvons apprécier les prémices d’un RAMMSTEIN tant nous retrouvons de nombreux ingrédients communs, jusqu’à cette façon de rouler les R qui n’est pas l’apanage du seul Till Lindemann.

À la fois grotesque et terriblement angoissante, cette reprise détourne les intentions de l’originale pour agir comme une sanction, où tout espoir est vain. LAIBACH va encore plus loin avec "Geburt Einer Nation", qui est une cover du… "One Vision" (1) de QUEEN. Ici, difficile de savoir si les Slovènes veulent conchier la bande à Freddie Mercury qui représente le capitalisme le plus éhonté avec la tournée des stades de 1986 ou s’il y a une once de respect dans la démarche (après tout, "How The West Was Won" semble reprendre certains plans de "Princes Of The Universe" ainsi que des patterns proches de ceux de Taylor sur "Gimme The Prize"). Cependant, ils parviennent à créer quelque chose d’inquiétant, et quelque part, de prophétique au vue des événements à venir.

LAIBACH délivre une musique Industrielle puissante, froide à en crever et totalement visionnaire. Le groupe est terriblement fédérateur et il n’est pas étonnant qu’il ait eu autant de répercussions dans les contrées germaniques et que RAMMSTEIN, venant d’Allemagne de l’Est, dont les membres ont grandi sous la menace de la Stasi, ne se retrouvent pas dans cette musique qui provoque autant qu’elle ne dénonce, souvent par l’absurde, les dérives sociétales d’un régime qui menaçait de s’effondrer à tout moment.

"Opus Dei" est une œuvre aussi bien musicale que politique, qui se traîne une réputation particulière, entre ode néo-nazie et pamphlet antitotalitarisme. LAIBACH ne fera jamais aussi bien que sur ce disque qui se situe aux portes du Metal, genre que le groupe reprendra souvent et qu’il explorera même avec raideur plus tard dans sa carrière. "Opus Dei" n’en demeure pas moins un disque charnière, un de ces classiques des années 80 qui n’en a pas vraiment la gueule, mais qui va contribuer à faire bouger beaucoup de choses par la suite, à l’instar d’un certain "Into The Pandemonium", paru la même année.

(1) et étrangement, Jeff ne m'a jamais dit ce qu'il en pensait.