En 1991 sortait "Blood Sugar Sex Magik" des affreux RED HOT CHILI PEPPERS. Avec les copains, nous étions assez ennuyés. Nous lisions de très bonnes chroniques sur ce disque dans la presse spécialisée, mais le style nous semblait un peu étrange. Nous ne pouvions pas écouter sur internet, pas encore et les magazines ne proposaient alors pas de samplers. Comme nous achetions nos albums avec notre argent de poche, nous fonctionnons tous de cette manière : soit il s’agissait d’un groupe que nous suivions, que nous écoutions souvent et que nous aimions, soit la pochette nous tapait dans l’œil et nous craquions nos billets chèrement gagnés. La jaquette de "BSSM" ne nous enthousiasmait pas et comme dit, nous ne connaissions pas la musique de RHCP.

Il nous restait alors une autre solution : trouver un pigeon, pardon un camarade, qui ne figurait pas dans notre cercle et qui consentait au mieux à nous le prêter, au pire à nous le copier sur une cassette vierge (ouais ouais, 1991). Après des mois à observer toutes les personnes susceptibles d’avoir acheté le disque, l’un d’entre nous en a déniché un qui a accepté de nous le copier (« te le prêter ? ça ne va pas, non ? La dernière fois que je t’en ai prêté un tu me l'as rendu avec de la confiture étalée dans le livret ! » Ouais, mon pote fan de POISON adorait bouffer des tartines au goûter…). Nous avions enfin la cassette et nous nous apprêtions à franchir le pas quand le cousin d’une copine nous dit « ouah non, c’est de la daube commerciale. Si vous voulez écouter du RED HOT, je vous passe le premier album. Ça c’est le top du groupe. Z’avez un tourne-disque ? »

Comme le type avait vingt ans et qu’il semblait savoir de quoi il parlait, nous lui avions fait confiance et nous n’avions pas touché à la cassette (« alors ? » « Moui moui… c’est intéressant, merci pour la copie ! »). La semaine suivante, la fille vient avec le LP sous les bras. On reste un instant interloqué devant la pochette (« c’est du Punk ? » « Euh… ouais, on dirait »). On pose le disque sur la platine, on entend les premiers grésillements du vinyle quand l’aiguille tombe dessus et c’est très, très rapidement la douche froide.

« Bonbonbon » « Heureusement que ce n’est pas un double album ! » « on va écouter ce truc jusqu’au bout ? » « Quelqu’un a une cigarette ? » « Oh. Tu fumes toi maintenant ? » « Non, mais je vais commencer dès que quelqu’un m’aura filé une cigarette, bordel ! » « Ton cousin est bien dans sa tête ? » « Oh, ce n’est pas si mal que ça ! » « Hey, ta gueule, tu crois que c’est le moment de faire de l’humour, hein ? » Voilà à peu près nos réactions face à cette musique hybride, fusion entre de la Funk pas forcément bien trippante et diverses choses telles qu’effectivement du Punk, du Rock, de la Pop, un brin de Hard. Le jeu de basse était ce qui était à retenir, le chanteur étant proche de l’insupportable.

Que ce fut long ! L’attente d’une explosion qui ne venait jamais ! Le sentiment d’être pris pour des cons par des musiciens qui avaient une idée assez étrange de la musique, avec des mélodies pas franchement complexes, mais assez inexistantes. Autant la guitare sur "Green Heaven" nous avait fait légèrement sourciller, "Mommy Where’s Daddy" avait rapidement enterré tous nos espoirs. Ce que l’on reprochait exactement au groupe ? Une inaccessibilité notoire si l’on n’est pas dans le délire (et assurément, nous ne l’étions pas) et l’impression d’écouter un bordel sonore hérité de Frank Zappa, mais sans le génie du moustachu. Et forcément, ça ne pardonne pas. En tout cas, ça nous avait vaccinés. Quelques temps plus tard, la fille nous avouera que son cousin était défoncé H24 et qu’il ne touchait pas terre. Alors avoir une oreille…

Je l’ai recroisé il y a quelques années. Sobre, mais les joues creusées par des excès pas possibles. Ce type avait mis un pied en enfer et il y avait pris appui pour remonter sur terre, littéralement. Il tournait au Perrier, je me sentais un peu con avec mon gin tonic du coup, mais ce n’était pas tous les ans que ma pote se mariait ! J’ai fini par le remettre à force de discuter avec lui et j’ai remis ce premier album des RED HOT sur le tapis. Il a rigolé en me disant qu’effectivement, avec la fumette, ça passait beaucoup mieux ce disque. Et que sans, c’est vraiment médiocre, pour ne pas dire anecdotique dans l’histoire de la musique. Et effectivement, après plusieurs écoutes aujourd’hui, je peux affirmer que c’est exécrable.

Ah oui, pour ceux qui veulent savoir ce qui est advenu de la cassette : nous ne l'avions pas enregistré. À la place, on a cherché un pigeon... euh... un camarade qui avait du FISHBONE et du LIVING COLOUR. Et ça, ça nous avait plu.