Le Grand Bond en avant n’est pas qu’un programme économique utopique maoïste… c’est un événement artistique on ne peut plus réaliste pour ETERNAL TEARS OF SORROW. Le genre d'événement qu’on peut dater précisément - de l'année 2000 en l’occurrence - et dont les retombées furent réelles, quantitativement comme qualitativement. Qu’il ait fallu trois albums à la formation finlandaise pour dépasser son prétendu Death Mélo et atteindre un standard de composition tel que "Chaotic Beauty" confirme que sa réussite est due à son labeur plus qu'à son talent intrinsèque, même si le sens certain de la mélodie des musiciens apparaît enfin au grand jour sur ce troisième opus studio, enfin produit correctement. Car qu’est-ce qu'ETERNAL TEARS OF SORROW sans mélodie, je vous le demande ? Rien.

La mélodie, donc. De la mélodie aux guitares, tout d’abord. Le groupe en faisait preuve auparavant mais ni les compositions dans lesquelles elles s'inscrivaient, ni la production des deux premiers L.P.s ne leur donnaient de relief. Et ni Jarmo Puolakanaho, ni Olli-Pekka Törrö n’étaient d’excellents guitaristes lead. Si le premier est désormais plus libre (seule la gratte rythmique reste à son actif et il s’en acquitte parfaitement, comme le puissant "Shattered Souls" le démontre d'emblée et le très puissant "The Seventh Eclipse" aussi), avec Antti-Matti Talala à la place du second, ça va déjà mieux. Rien que son nom, Talala, sonne comme une mélodie chantonnée. Il doit avoir ça en lui… Des titres comme "Autumn Grief" ou la très bonne reprise du "Black Tears" d’EDGE OF SANITY font la part belle à la jolie patte du gaillard.

À partir de "Chaotic Beauty", ETERNAL TEARS OF SORROW, c’est de la mélodie aux claviers surtout. Recruter Pasi Hiltula était la meilleure décision des Finlandais en cette fin de XXème siècle. Fini de mettre des touches blanches et noires entre les paluches des guitaristes, comme c'était le cas sur les deux premiers albums ! Ça ne donnait rien de bon, de toute façon. Si le garçon s’emballe un peu, parfois, avec ces sonorités violonesques virevoltantes un brin too much sur "Bhéan Sidhe", il nous gratifie déjà de ces superbes envolées de claviers au son si unique, justement synthétique et presque kitsch mais dont le pouvoir d’accroche est indéniable. Il ne les utilise pas suffisamment à mon goût, encore, préférant encore des sons de cordes frottées ou de piano, mais leurs apparitions sont plus que notables au cœur de "The Seventh Eclipse" ou sur les soli de "Bride Of The Crimson Sea" et de "Black Tears".

C'est lorsque guitares et claviers œuvrent de concert ou quand les élans des uns succèdent à ceux des autres qu’ETERNAL TEARS OF SORROW nous ravit le plus sur "Chaotic Beauty". Des morceaux tels que le mid-tempo "Bride Of The Crimson Sea", d'où surgit subitement une douce voix féminine, l'extrême "Tar Of Chaos", où le synthé de Hiltula se fait clavecin, ou le terminal "Nocturnal Strains" donnent une idée assez claire de l’idéal vers lequel veut tendre le quintette. Un mélange de romantisme puissant et d'élégance baroque qui n’est, il faut le dire honnêtement, pas totalement réalisé sur ce troisième album. Il faudra encore attendre un peu pour profiter de la quintessence du style ETOS. Mais les bases sont là, et bien là, campées par un "Chaotic Beauty" qui porte assez bien son nom tant il affiche déjà une partie de la beauté de son successeur, mais pas encore son splendide ordonnancement.