Dans un chapitre discutant de ce que l'on signifie par musique "mal composée" ou "insignifiante", Carl Dalhaus écrivait dans "Analyse und Werturteit" (Analyse et Jugement de Valeur) ceci :

"Il ne faut pas se laisser abuser quand, parfois, ces symptômes de la mauvaise musique sont des stimuli calculés plutôt que des erreurs dues à l'incompétence ou à la négligence. Même lorsque exposée comme du cynisme déguisé, la bêtise musicale ne cesse pas d'être agaçante ou insupportable."

Je ne crois pas devoir vous faire un dessin.

Comme un moment où tout bascule, un détail dont on ne peut se débarrasser, ce cynisme, ce calcul dont je peux pourtant très bien m’accommoder chez d'autres a fini par se révéler comme une ombre présente dans chaque détail et dans chaque choix, omniprésent tel un dieu, omnimalevolent tel le diable. Je ne saurais pas dire où cela a commencé. Certes il ne m'a fallu qu'une minute et cette petite juxtaposition "yummy yummy yummy" + breakdown Metalcore daté à 2006 au carbone 14 pour être convaincu de l'immense nullité qui se présentait devant moi. Mais pour ce qui est de la nullité, après tout, j'écoute ma propre musique fréquemment et je ne ressens pas le besoin de citer des musicologues allemands pour en parler.

Si l’honnêteté qui ne me caractérise pas ne m'oblige pas à vous révéler que le refrain de la chanson-titre est très correct et qu'on peut sans doute trouver des moments à sauver (*) avec une bonne volonté qu'encore une fois je ne possède pas non plus, quand bien même je le voudrais, ce spectre qui hante ce disque – celui du cynisme – me rend cette tâche à tout jamais impossible. Tout est souillé, empoisonné, pourri, impropre à la consommation tels ces invendus de supermarché arrosés de javel pour que les pauvres ne puissent en récupérer quelque chose.

C'est un peu comme la réalisation du phantasme de ces ignorants volontaires qui refusent d'apprendre des éléments de théorie musicale de peur que cela restreigne leur créativité ou leur gâche toute la musique, sauf que cette fois c'est réel (**). Chaque petit cut, chaque réglage de noise gate, chaque petit backing pitché, chaque chug, chaque grain du son de guitare, chaque choix de snare etc etc, chaque petit détail est comme une piqûre dans l'oreille, comme un point de peinture déposé par Van Gogh sur la toile d'un tableau impressionniste du repoussant. Avec ses petits emprunts à MANSON, BABYMETAL, DIR EN GREY ou NINE INCH NAILS, ça se veut "quirky" et ça ne l'est pas. Derrière un masque souriant, un visage froid et glacial. Une uncanny valley de la production musicale, la maitrise délicieuse d'un art du pire.

Peut-être vous viendra t-il alors à l'esprit qu'il n'y avait pas besoin de cet étalage pour parler d'un crossover Pop/Alternatif/Metalcore et vous aurez certainement raison. Je me suis même retenu de vous parler d'appropriation culturelle, au prix toutefois d'un grand effort de retenue de ma mauvaise foi. Il me semblait néanmoins important que, quitte à me lire (pourquoi vous infliger ça ?), vous compreniez l'immense mépris que j'ai pour cette œuvre. Mais une fois toute cette musique écartée, il reste de "Poppy" tout cet univers, tout ce concept. Ta propre internet girl dans ton téléphone, sa picopop futuriste et son Ambiant pour lire. Cette jeune fille (est-ce une fille ?) qui dans un sursaut Luciférien se libère de son créateur tyrannique pour affirmer son indépendance par le metal – genre prométhéen par excellence – en collaborant avec les producteurs de YUNGBLUD et BRING ME THE HORIZON. L'enfant innocent est devenu bossgirl adolescente, fière mais fragile, colérique mais cute.

C'est bien Poppy. Tu es une grande fille maintenant.

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(*) Allez, une bonne moitié de la dernière chanson est franchement pas mal.
(**) Également : si vous pensez réellement qu'apprendre la théorie musicale va restreindre votre créativité ou vous gâcher la musique s'il vous plaît envoyez votre cerveau en révision ce n'est plus une question de goût artistique là mais de démence. Je suis très sérieux, c'est embarrassant pour tout le monde, on est tous là à vous regarder avec un air gêné et à se faire des regards en coin genre "c-c'est une blague pas vrai, il rigole ?"