Il peut être tentant en 2017, entre deux disques de Brutal Death Technique, de Cybergrind ou de Powerviolence, plus d'un long tiers de siècle après la sortie de "Hear Nothing See Nothing Say Nothing" de déconsidérer quelque peu ce qu'il représente : erreur habituelle, banale, que vous ne commettrez plus si jamais ces lignes sont au moins passables. Non, non, les mâchoires de ces jeunes cons aux dents longues ne font que rayer les murs du monument loué céans, à peine en perd-il une étoile – tribut payé au temps, cet implacable huissier.

Le secret de cette résistance ? C'est que "Hear Nothing See Nothing Say Nothing" n'est pas un disque : c'est une méthode, un guide, un système de pensée, une philosophie aux nombreux héritiers. Or, tout grand penseur peut cataloguer ses disciples en plusieurs catégories ou classes. Il y a les illuminés, les fidèles, les orthodoxes, ceux qui ne jurent que par le pou tapou pouta, ceux qui achètent leur pédales de disto' à la coopérative autogérée par paquets de douze, ceux font des autodafés de "Grave New World" tous les dimanches du mois de juin.

Et puis il y a les autres. Myriades de sans visage au milieux des puissants, foule innombrable aussi disparate que les auto-proclamés héritiers de Marx ou de Nietzsche. Tous, DISMEMBER, METALLICA, AMEBIX, DARKTHRONE, PIG DESTROYER, NEUROSIS communient au nom de DISCHARGE qui jadis offrit son corps et son sang pour que vive en nous la colère bouillante, la rage sourde, la haine permanente. Gimme Danger, petits étrangers, ainsi avec vous nous sentons nous à l'aise, lorsque le Punk Hardcore est poussé à ses extrémités, lorsque chaque note, chaque percussion, chaque cri affole notre cerveau dont l'instinct reptilien y voit un signal de danger, une alarme. L'alerte est permanente, le danger certain, la mort partout : l'intensité, maximale.

Alors bien sûr "Hear Nothing See Nothing Say Nothing" bien qu'une pierre d'angle reste une pierre dans un édifice plus grand qui le dépasse. Et peut-être te prendra t-il, lecteur, l'envie de contester cette place que je lui écris, de mentionner tel groupe précurseur, tel album postérieur, tel concept perfectionné, telle influence supérieure. Tu aurais peut-être factuellement raison. Peut-être la fluidité ramassée, la frénésie Hardcore avec laquelle s’enchaînent les riffs et s'organisent les compositions te laissera de marbre. Tant pis. Peut-être décideras-tu de rejeter ce disque comme l'obsolète témoin d'une époque particulière, de la scène Punk Hardcore au Royaume-Uni (dieu sauve la reine) en 1982. Ce serait ton droit le plus absolu.

Mais lecteur qu'as-tu à dire face à la souffrance humaine ? Qu'as-tu dire face aux millions de morts et de mourants ? Qu'as-tu dire face à la possibilité de destruction de toute vie ? Tu n'as rien. Tu n'entends rien, tu ne vois rien, tu ne dis rien. Tu n'es rien. Change cela. Proteste. Survis.

Cela se fait en deux minutes douze : c'est la piste numéro quatre.