On aurait coutume de penser que la création artistique relève d'une démarche spontanée, hermétique aux attentes et ne pouvant souffrir d'aucune forme de contrainte, qu'elle soit temporelle, thématique ou musicale. C'est faux, bien sûr. Des compositeurs et peintres de la Renaissance jusqu'aux cinéastes contemporains, l'art est soumis, à la solde de ses financements. Dans le domaine de la musique hard rock, le label italien Frontiers s'est fait maître dans la création artistique sur commande, équipant ses artistes les plus "bankable" d'une pléthore de plumes prêtes à composer du tube comme le mineur s'en va au charbon. Une méthode qui, si elle permet à l'amateur de disposer de sa dose nécessaire de sorties dans un genre qu'il apprécie, à une malheureuse tendance à niveler par le bas, à privilégier l'efficacité et l'immédiateté à la réflexion et la sincérité.

La force de Frontiers est de disposer d'un immense viviers de talents en devenir ou établis. Dans cette deuxième catégorie, le chanteur Johnny Gioeli n'a plus à faire ses preuves. Vocaliste salué au sein du groupe d'Axel Rudi PELL, auteur avec son propre groupe HARDLINE d'un incontournable du hard FM au début des années 90 (l'indispensable "Double Eclipse", Gioeli est une valeur sûre, un cheval de course fiable, du genre à vous faire remporter le quinté dans l'ordre. A force de palabres et de persuasion, le label est donc parvenu à glisser dans les pattes de Johnny un compositeur aux dents longues en la personne de Alessandro Del Vecchio (Eden's Curse, Glenn Hughes...), en échange d'un nouvel album de son groupe A.O.R. De l'art sur commande, donc.

Et bien entendu, la recette fonctionne. Il est évident que Johnny chanterait "Le Petit Bonhomme en Mousse", il serait toujours convaincant. L'artiste use de sa voix chaude et puissante sur cette douzaine de titres qui lui permettent de se faire plus varié, plus nuancé que sur les albums d'Axel Rudi Pell. Au niveau musical, il est clair que le HARDLINE actuel n'a plus rien en commun avec le groupe qui compta il fut un temps en ses rangs Neal Schon (Journey) et Joey Gioeli, frère du chanteur. Point de tubes façon "Hot Cherie" ou de "Life's a Bitch" sur ce nouvel album, qui est pourtant celui qui se rapproche le plus de la gloire passée du combo, bien plus en tous cas que le timide "Leaving The End Open" paru en 2009.

C'est cette fois-ci le méconnu Thorsten Koehne (Demon Drive, Eden's Curse), qui se charge des guitares, avec une sobriété et une efficacité remarquables, HARDLINE proposant avec "Danger Zone" ce qui aurait pu être un gigantesque album vingt ans plus tôt. Prenant pour modèle un Bon Jovi musclé, le groupe assène son A.O.R. convaincant avec force de riffs et de mélodies easy-listening, édulcorées par la proéminence des claviers. "Fever Dreams", mid-tempo au refrain surgonflé, synthétise assez bien cet état de fait. HARDLINE a de la bouteille, et sait comment s'y prendre pour convaincre : jouer à fond la carte de la nostalgie, en ne s'encombrant pas de thématiques complexes. L'amour, l'absence d'amour, sa violence ou sa douceur, sont le sujet évident de l'ensemble des textes de l'opus. Un manque d'imagination évident, qui sied néanmoins parfaitement au style pratiqué et à la voix de Gioeli.

A l'exception de l'ignoble et pachydermique "Danger Zone", qui donne bien mal son titre à l'album, on est bien vite séduit par les mordants "I Don't Want to Breakaway" et "Show Me Your Love", par le Fmisant "Please Have Faith In Me", par "Never Too Late For Love" et ses réminiscences de Whitesnake ou par la power-ballad syndicale, "Stronger Than Me". Comme le goût du sucre sur la langue, ce nouvel album de HARDLINE est doux au palais. Si la voix de Gioeli invite à l'indulgence, reste tout de même cet arrière-goût de réchauffé, de futilité, qui nous invite à penser, fort justement, que "Danger Zone" se fera petit, tout petit dans notre discothèque à côté de l'immense "Double Eclipse". Putain de spontanéité.