Les indécis, quelle race abominable. Surtout pour les maniaques du rangement, et qui ont besoin d’ordre dans leurs idées pour pouvoir avancer et en créer de nouvelles. Ceux-là même regroupent les informations, les mettent au propre, les classent. La chemise fermée contient tout ce qu’il y a d’important à savoir, elle est placée dans un tiroir, étiquetée, et s’insère à merveille entre deux gros documents, parfaitement archivés, propres, parfaitement renseignés. Le tiroir est fermé. Une autre chemise s’ouvre. Le processus continue.

Et l’indécis, il vient nous foutre le souk (un souk où on chanterait TULUK TULUK, entendons-nous bien). Il faut aller retrouver la clé qui ouvre le tiroir, pêcher le dossier rouge parmi une cinquantaine de dossiers rouges, le rouvrir et, par la même occasion, écarter ceux en cours, faire de la place et appeler immédiatement la secrétaire : « vous venez illico presto, les KHANATE là, ils sont pas encore morts les demeurés, ils bougent encore un peu. C’est pas possible hein, c’est intuable ces bestioles. Tu les cloues, tu les asphyxies, elles ont l’air raides, tu passes à autre chose, et ils te me font un sursaut de vie pre-mortem. Oui, ben oui Simone, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, ils nous sortent leur CD-chant-du-cygne, j’y peux rien s’ils nous avaient fait le coup avec "Capture & Release", on a un cygne mort-vivant, voilà. Oh et puis pleurez pas, hein, c’est suffisamment embarrassant comme ça ».

Avec KHANATE… -I N T E R L U D E-… « Ah bonjour ! Je vois que je ne vous avais pas encore emmerdés avec la prononciation de ce mot anglais ! Que de temps perdu ! Que de quiproquos dans les soirées musicales ! Alors, sans plus attendre, jouons à COMMENT PRONONCER KHANATE ! »
KHANATE, comme karaté ? Kanaté donc ? Perdu, Raimu !
KHANATE, comme canaque ? Canate en gros ? Perdu, Lulu !
KHANATE, c’est « conne » et « eight ». Et là oui, on se distingue.

Avec KHANATE donc, aucune erreur possible, groupe et son reconnaissables entre mille. Le parfait représentant du drone et du doom, du droom (je décide d’utiliser ce mot à chaque fois, désormais), le groupe le plus malade du genre, cette fois-ci en phase terminale. Le groupe qui déballe ici la fin de son concept : un son épouvantable de clarté et de douleur, une batterie réduite à imiter les soubresauts ultimes de l’agonisant, Alan Dubin sur le point de devenir sujet d’étude en psychiatrie tant il semble s’être fatigué à s’égosiller. Le groupe va très mal.

Par moments, le patient reprenant ses esprits, KHANATE n’est qu’à la complainte. Il bâtit alors quelque chose de bouleversant, comme si les deux doigts de tristesse que les pauvres guitares violentées laissent s’échapper faisaient office de témoignage difficilement recueilli. Alors "Wings from Spine", pourtant distordu et si sauvage aux oreilles, touche au cœur. A d’autres moments en revanche, le patient en camisole de force, KHANATE hurle, s’effondre, beugle n’importe quoi, gigote dans tous les sens, s’épuise.

C’est le bout du chemin. Les instruments laissent place à des vagues sonores continues, vrombissantes, comme une chape de plomb anéantissant tout. Dans "Clean my Heart", la menace apparaît enfin. Le patient s’est calmé, la guerre est à l’intérieur ; elle ravage, balaye toutes les blessures, tous les malheurs ; et libère. Et en trois courts morceaux, KHANATE mit en place une évolution sonore tout à fait intéressante, laquelle trouve en "Every God Damn Thing" son point final, minimaliste au possible. La demi-heure que dure cette toute dernière expérience, débarrassée de nonante pourcents (je dis nonante si je veux) de leur son drone, possède un seul avantage : c’est le dernier morceau et on coupe facilement.

Ainsi l’accoutumance au son, à la folie de KHANATE, ne supprime pas la force de leurs nouvelles compositions, et dernières cette fois-ci espérons-le (« Simone, vous vérifiez qu’ils respirent plus ? »). En réduisant ses plages horaires, le groupe condensait ici ses idées dérangeantes et laissait de la place pour d’autres, l’extrême onction étant la finale. Encore une fois, espérons-le. Je déteste les mort-vivants.