"Crossover", tout le monde n'avait pas forcément compris l'importance du jeu de mots. Un pont entre deux routes, le punk, le hardcore et autre chose. Cette autre chose qu'on n'osait pas forcément nommer mais que tout le monde essayait déjà d'apprivoiser dans son coin. Et D.R.I. possède deux mois d'avance sur celui qui deviendra le géant du mouvement et encore bien plus encore, SUICIDAL TENDENCIES. En mars 1987, "Crossover", premier album de crossover voit le jour. D.R.I. est en route pour la gloire.

Pourtant, aujourd'hui encore, en plein revival mené par l'ultra efficace MUNICIPAL WASTE, les Dirty Rotten Imbeciles ne font l'objet que d'un culte rare et confiné à un segment extrêmement étroit du public metal contemporain. Une gloire limitée à l'underground. Après tout, il n'y aurait rien à dire sur cette popularité toute relative si le groupe ne s'était fait passer devant à une vitesse insolente par Mike Muir et ses sbires de Venice. Il aura suffi de deux mois pour que "Join The Army" débarque constat en main : plus puissant, plus efficace. Et D.R.I. verra son collègue atteindre l'objectif qu'il s'était lui-même fixé tandis qu'il restera collé en seconde et passera l'arrivée trop tard alors que les gradins ont été démontés depuis longtemps. Au lieu de jouer à ses côtés, mieux encore à sa place, D.R.I. s'achètera un billet pour voir SUICIDAL TENDENCIES jouer dans un stade immense en première partie de METALLICA. Rageant !
Mais Kurt Brecht, Spike Cassidy, Felix Griffen et Josh Pappa ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes. Leur moteur manquait de reprise. Plus puissant "Join The Army" j'ai dit. Et ça continuera comme ça jusqu'à la fin. "How Will I Laugh Tomorrow When I Can't Even Smile Today" explosera "4 Of A Kind", "Lights Camera Revolution" atomisera "Thrash Zone".

Ouvrons le capot !

L'évidence apparaît dès le premier coup d'œil. Pistons rouillés, culasse d'un autre âge, système de refroidissement laissé à l'abandon, et même une fuite d'huile. D.R.I. n'aime pas l'entretien et se grille dès son arrivée dans le monde du metal. Il ne met d'ailleurs qu'un pied dans cet univers impitoyable et sa timidité a tôt fait de lui interdire d'avancer haut dans la hiérarchie.
Mais qu'est-ce qui ne va pas exactement ?
- la guitare : habillée d'une distorsion qui manque d'un peu de grain et de beaucoup de définition.
- la section rythmique : qui trempe encore dans un bouillon brouillon pas bon, incompréhensible pour qui ne pense pas 100% hardcore.
- la production : fait ce qu'elle peut mais peine à effacer les marques tenaces du punk.

Cependant, "Crossover" marque une véritable révolution. Premier d'une longue lignée de mariages entre hardcore et thrash, un esprit encore largement CBGB's, du fun qu'on retrouvera chez ANTHRAX, une culture white thrash qui fait aujourd'hui les beaux jours des films de Larry Clark. Un riff à la Slayer, du mid-tempo speedé quasi-martial, les premiers blast beats au monde, des injections 300% core, un disque inoubliable pour qui baigne dans la culture punk et apprécie les nouvelles expériences, un album que les metalleux les plus orthodoxes aimeraient voir plus chromé mais qui intéressera énormément pour son aspect historique.