Du fait de la modification essentielle du line-up constatée avant l'enregistrement de "Weight", on aurait pu croire à l'accentuation du délire jazzeux vécu sur "The End Of Silence". L'arrivée de Melvins Gibbs, bassiste à la réputation énorme de la scène jazz funk new-yorkaise, grand ami de Vernon Reid, maître à riffer chez LIVING COLOUR, aurait du poser un relais définitif entre le hardcore des premières années et le post-punk noise avant-metal je ne sais quoi qui semblait envahir l'univers d'Henry Rollins depuis "The End Of Silence".

Au lieu de ça, un curieux mélange bien difficile à analyser entre retour aux fondamentaux et accentuations du groove. Une légende qui donne envie. On regrettera pourtant longtemps le départ d'Andrew Weiss qui aura longtemps sculpté le son du groupe et dont l'absence confine ici au tragique. A moins que le chef lui-même n'ait décidé de cette reprise en main. Le retour aux fondamentaux, c'est une équipe plus serrée, la fin des digressions. Quand au groove, il anémie les impulsions hardcore et le groupe perd conséquemment en douleur et en intensité. Horreur, il sonne presque fusion par endroits. Très clairement alternatif selon l'acception de l'époque en tout cas et "Weight" est construit pour plaire. Henry Rollins a perdu ses derniers accents furibards, déjà largement soldés sur "The End Of Silence", RAGE AGAINST THE MACHINE pointe à l'horizon, étrange.

L'ombre de l'album précédent plane encore sur "Tired", fumerolles jazz psychédéliques largement anesthésiées et aux émanations raccourcies. "Liar", single au blues lourd efficace fait mouche. "Icon" bondit par instants. "Wrong Man" rampe, tiré par une force noire, urbaine, effrayante. Insuffisant lorsqu'on vient de côtoyer les sommets, on revient ici sur terre et dieu que l'atterrissage nous fait souffrir. Rien à faire, "Weight", c'est la chute.
Une chute en exacte opposition avec le parcours médiatique d'un Rollins qui jouera bientôt à Woodstock, avec Lynch, Al Pacino et De Niro. La gloire qui accompagne une perte de motivation artistique, l'abandon de la sublime cause "The End Of Silence", remplacée par un metal funkisant textuellement toujours fort, musicalement modeste. Un disque qui caresse la mode de l'époque sans attirance précise, un produit.

Comme il ne faut rien exagérer, comme il faut savoir relativiser la terrible perspective et cette vue plongeante et abyssale depuis le génial opus de 1992, on tâchera de se concentrer sur les quelques points forts déjà évoqués plus hauts. On verra qu'Henry Rollins est toujours aussi vivant, que s'il a décidé de se reposer sur des lauriers chèrement acquis, il conserve un fond de sauvagerie authentique. On se dira que même au niveau zéro de la volonté instrumentale, le ROLLINS BAND préserve son mobilier car il est simplement talentueux. Et "Weight" ne touche pas le fond, ce n'est qu'un effet d'optique du à la hauteur vertigineuse atteinte par son prédécesseur. Et puis, il y a toujours cette poésie racontée qu'il continue à confectionner avec son énergie naturelle, presque animale, surplombée par une intelligence brute et sensible totalement déstabilisante. Henry Rollins, un maître.