Henry Rollins. Et cette chronique est déjà terminée.

Oui, "The End Of Silence", c'est Henry Rollins, son sang, sa sueur, sa rage, l'asphalte sur laquelle il use ses godillots, son t-shirt noir, ses muscles et ses tatouages.

Henry Rollins qui, en 1992, profite de l'intérêt porté par les marchands du temple musical pour le gros son. Alors, l'icône éternelle du hardcore signe sur une major et, bénédiction divine, compose son meilleur album. Juste avant de passer d'un statut culte et diplodocus à celui de roi pour ceux qui n'en peuvent plus de l'idolâtrie qui accompagne les geigneries de Kurt Cobain. Il suffira de quelques mois pour que l'ancien frontman de BLACK FLAG écrive des articles pour le gratin de la presse musicale, présente une émission sur MTV, joue de petits rôles dans des blockbusters hollywoodiens, voie ses écrits loués par tout le gotha de l'alternatif. 1992, l'année du décollage pour un personnage au passé déjà lourdement chargé. Nouvelle idolâtrie finalement, mais pour initiés celle-là.

Un passé qu'on entend très fort sur un album qui transpire le vécu. Du hardcore d'une maturité totale, joué à la vitesse des artères du bonhomme, nouveau trentenaire aux envies profondes. Culture, introspection et rapports humains, pourrait-on sous-titrer un ouvrage à la hargne qui aura beaucoup muté depuis les débuts de hurleur psychotique d'un artiste hors norme et pourtant tellement représentatif d'un mouvement. Ne cherchez pas les aboiements typiques du genre aux mille tatouages et aux trois mille revendications politiques, ne cherchez ni le son de garage des années 80, ni la surpuissance infernale des années 2000, "The End Of Silence" ne souffre d'aucun excès. Responsable de cette sagesse qui rend le disque aussi poignant, Andy Wallace, celui de SEPULTURA, NIRVANA, Jeff Buckley, SONIC YOUTH et de tant d'autres, producteur très haut de gamme dont le nom fait peur aux purs et aux durs. C'est une évidence, "The End Of Silence", bible des intellectuels de la rue, n'est pas un disque pour adolescents. Pas foncièrement dur, pourtant si pur, une énergie faussement canalisée et une césure incroyable, un disque coupé en deux de façon admirable, comme pour permettre aux deux facettes d'une même personnalité de s'exprimer sans se bousculer.

Henry Rollins lâche les chevaux sur quatre titres, c'est là qu'il bande son muscle travaillé à la fonte. Quatre titres de grande qualité, aux paroles dignes de traduction, quatre percussions de poids. Puis c'est le jazz, la liberté.

Toujours supporté par un canevas résolument lourd, les musiciens laissent aller tout leur talent. Chris Haskett, Sim Cain, Andrew Weiss prennent soudainement une importance colossale. Et on se rend compte, époustouflé, que rarement de simples punks auront fait preuve d'autant de feeling, auront autant su transformer en notes un feeling d'exception. Et le guide surfe devant son micro et sur la vague sonore entre colère et poésie. D'"Almost Real" à "Just Like You", un long voyage entre douleur et psychédélisme noir, un tourment narcotique multi-directionnel, la version saturation et béton des délires hypnotiques des plus grands mystiques du cuivre, de Coltrane à Pharoah Sanders. Un nouveau "A Love Supreme", un "Karma" bis qui se termine sur le gigantesque "Just Like You", confrontation finale du magnétisme free jazz et des cris du hardcore. Un disque qu'il est délicat de découvrir quand on ne pense que metal, un disque pourtant indispensable.