BLACK FUNERAL aurait pu se contenter de jouer éternellement aux cartes avec ses potes apprentis méchants pendant la longue traversée qui le mène à l'enfer dans un wagon plein à craquer de corbeaux et pandas vindicatifs. Mais après quelques disques qu'il n'y a certainement pas lieu de qualifier de chefs-d'œuvre intouchables, il a commencé à se lasser de ces grosses blinds douloureuses, de ces flops hésitants, de ces relances angoissantes. Et puis, jouer au poker dans une ménagerie aux odeurs de purin, on aura connu meilleure occupation. Alors BLACK FUNERAL s'est enfin levé de sa chaise pour visiter les autres compartiments.

Voilà bien l'idée la plus merveilleuse qu'il aurait pu avoir. Une idée qui le sauve, et nous aussi, d'un ennui éternel. Az-I-Dahak n'est pas la nouvelle merveille du black, loin s'en faut. Extrêmement lancinant et mélodiquement oublieux, le disque souffre également d'une production rugueuse qui rend brouillon ce défrichage de nouvelles terres appartenant à ce qu'on pourrait bien appeler le black indus ritualiste. Mais son intérêt réside plus en cette métamorphose incroyable et inattendue qu'en des qualités musicales encore douteuses.

Le black indus, ou plutôt le black usineux aux accents de guerre post-nucléaire, les Norvégiens l'ont cultivé pour en extraire le meilleur suc. MAYHEM et DØDHEIMSGARD se sont entre autres chargés d'effectuer le travail. Sous des traits certes différents, "A Grand Declaration Of War" et "666 International" permettent de se rendre compte de l'étendue des possibilités de ce mélange des genres bien plus naturel qu'on aurait pu le penser il y a à peine 10 ans. Le black ritualiste a signé son acte de naissance il y a bien plus longtemps encore. "Drawing Down The Moon" ? Peut-être bien. Mais en traînant un peu partout de la queue à la tête du train qui se dirige dans l'antre de Méphistophélès, Baron Drakkonian Abaddon a pensé, compris beaucoup de choses et rapidement concrétisé ses idées d'hybridation. Créateur d'un alliage dur comme l'acier, froid comme la mort et sentant le crade, l'homme livre ici ce qui n'est qu'un premier jet. Premier jet sans lequel le somptueux "Waters Of Weeping", celui qui permet à BLACK FUNERAL de se hisser à la hauteur de VROLOK, dieu vivant du black metal américain underground et cérémonial. Premier jet indispensable pour poser les bases complexes d'un nouveau sous-genre qui, maladroitement agencé, peut se transformer en une infâme bouillie sonore. Preuve en est, ce disque cumule les approximations et les erreurs dues à un manque de volonté mélodique. "Waters Of Weeping", outre cette volonté enfin trouvée, s'enrichit d'une dynamique originale et osée (en gros, ça monte, ça descend et ça change souvent) qui le rend remarquable. "Az-I-Dahak" prend encore trop souvent le parti du 100% permanent, une préférence qui fatigue plus qu'elle ne tourmente. Certes, en leur temps, EINSTURZENDE NEUBAUTEN ou GODFLESH faisaient de temps en temps pareil mais le propos était différent. Et le black n'est pas l'indus.

Un disque qui ne respecte aucun canon du black, un disque qui ne se veut qu'une première ébauche, voilà une description prompte à effrayer un lectorat qui doit ici lire en lettres majuscules surlignées au stabylo : jetez-vous sur "Waters Of Weeping" ! Le risque mérite d'être pris, vous reviendrez sur cette malfaisante galette une fois consommé le bijou américain du black d'égoutier de l'an passé.