J'ai comme l'impression que plus rien ne saura me consoler de l'humain. Je suis déprimé à l'idée que notre avenir sera le plus sombre que l'humanité ait vécu. Pas besoin de résumer les faisceaux qui conduisent à notre auto-destruction. Je n'ai plus peur de mourir et me plaît à l'imaginer. Où sont mon enthousiasme, ma curiosité, mes rêves et mes espoirs ? Je ne les vois plus, pour le moment. Je suis noir comme le charbon.

Certains chroniqueurs préféreront se réfugier et user de cette défense mentale qu'on appelle intellectualisme, habillant, tartinant leur vide intérieur pour mieux se donner de la présence dans leur univers virtuel – un peu comme les chimpanzés gonflant leurs poils pour impressionner l'adversaire. Ils seront aigres, acides, ironiques et hautains, car ils sont desséchés de passion : ils n'ont plus de cette dernière, ou des lambeaux. Mieux vaut tartiner et paraître supérieur qu'être bassement un metalhead épris de sa musique, possédé par le metal... Une chronique chirurgicale et sans émotion traduit-elle la passion de son auteur, ou sa frigidité ? La peur de se laisser chevaucher par la Bête intérieure, la peur de voir la Bête sombre et bestiale, la peur de se laisser envahir par ces Ténèbres retiennent bien souvent ces frustrés du Black Metal et de la vie plus généralement... Ces peurs les ont vidé d'eux-mêmes. Même sans avoir encore les cheveux longs et gras, la veste à patch et toujours une bière dans la pogne, on peut garder son âme de metalhead et resté passionné, même après dix, quinze, vingt, trente ans d'écoute musicale. La passion est synonyme de vie – la défense intellectualiste ou Raison, cet arme de sang bleu, synonyme de mort. Je suis resté passionné et à vrai dire, je ne l'ai jamais autant été, car je n'ai jamais été si vivant et si empli d'émotions puissantes. Plonger dans l'Underground d'un genre que j'adore, voilà ma manière de rester passionné. Il y aura toujours de petits artisans qui dépasseront les maîtres eux plus connus.

Le Black Metal est une affaire d'émotions extrêmes, fortes, puissantes et noires, qui gonflent l'ego ou le rendent déprimé. Ne pas être en phase avec ces sentiments, c'est passé à côté du Black Metal, tout simplement. Si votre âme n'a pas une facette noire comme le charbon, si la vie ne vous a qu'égrattiné, si vous avez vécu protégé par les vôtres et n'avaient pas connu les manques, si les mots douleur, souffrances, haine ne vous disent rien, si vous n'avez jamais rien vécu intensément de cela, alors vous ne vivrez pas le Black Metal. Car cette musique extrême est cela. Elle est l'expression de cet être noir, inconscient, torturé et déchiré – et infiniment humain. Conceptuellement parlant, le Black Metal est le constat d'échec de l'humanité incapable de se sauver à elle-même, capable de tout annihiler au contraire, elle comme le reste. A partir de ce constat, la volonté ou le désir misanthropique de détruire cette humanité où l'on se voit sans se reconnaître, qui n'a pas su se dépasser et a déçu, engendre la haine nécessaire au Black Metal pour exister. La haine, soutenue par un certain nombre de sentiments des plus obscurs de l'être humain, devient ainsi le moteur du Black Metal. Ce genre metallique est l'instrument parfait des souffrances, des frustrations intérieures. Du moins, je suis en complète résonance avec lui. Même si les souffrances d'il y a dix ans sont résolues, d'autres sont nées par la suite et l'alimentation des sentiments sombres n'a que rarement cessé. La vie n'est pas un long fleuve tranquille. Le Black Metal, s'il est vécu, est un besoin que l'on recherche et exprime. Il est le fruit d'âmes sensibles et destinées à celles-ci. Et je n'aborde pas les caractéristiques esthétiques, physiques ou musicaux, comme voulez, du genre...

Mais c'est un long cheminement mental qui m'amène à écrire tout ceci, à l'écoute de ce magistral Einblick in Den Quelenfall de l'Allemand VERDUNKELN. C'est une partie de ma réflexion sur un mouvement dans lequel je suis immergé depuis quasi une décennie. Toute cette introduction est nécessaire pour comprendre le genre et entrer dans un chef-d'œuvre comme ce disque. Certains ne ressentiront peut-être rien à son écoute d'ailleurs – et c'est malheureusement normal et ordinaire. Le Black Metal est une expérience de solitaire. D'ailleurs, il n'a rien à fiche dans les salles de concerts. Mais c'est un autre débat. Pour revenir à nos moutons, certaines œuvres qualifiées de chef-d'œuvres à leur tour ne me touchent pas. Notamment quand c'est surfait, avec une production dantesque, des chœurs, des synthés et tout le baltringue. Egalement quand c'est un Death à voix Black ou légèrement teinté de sonorités Black, ou encore quand il prend des aspects dits « dépressifs » ou « suicidaires », je rigole doucement et reste, la plupart du temps (mais les exceptions, qui confirment la règle, existent), insensible à mon tour.

Cet opus tragique donc, me bouleverse à chaque écoute. C'est pour cela que j'en suis damné. Depuis que j'ai reçu le promo pour sa sortie officielle sur le label germain Van, il y a tout juste un an, il n'y a pas une semaine où je ne l'ai pas écouté. Je suis envoûté et c'est, depuis, l'un des meilleurs disques que je possède. Einblick in Den Qualenfall (« vision d'un agonisant » ?) est la « soundtrack of my life ». Masterpiece d'un sous-genre en expansion, l'Atmosphéric Black Metal, cet album me touche profondément. Le label le décrit également comme de l'Hyptonic Black Metal... Vous le qualifierez comme vous voulez, je donne ces infos pour que vous vous fassiez votre idée. J'ai déjà, à sa sortie, chroniqué le missile, mais j'ai beau l'avoir retourné dans tous les sens, je n'ai pas l'impression de tout en saisir. C'est pour quoi je retente ici. Pourtant, le Grand Bouc sait bien comme moi qu'il n'est pas sorcier ce disque, même si unique. Mais il est transcendant.

Ce Black Metal est assez simple : nous avons une batterie dosée en tous points, tant au niveau présence que tempo : il est mid. Des accords de guitares simples mais divinement inspirés. Un synthé discret parcimonieusement distillé et posant des nappes oniriques magnifiques. Et une voix magique. Mais ceci est trop peu pour décrire l'opus, et c'est là le plus difficile. Déjà, le son est « aquatique ». La guitare sonne un peu comme celle d'Abbath sur certaines pistes de Sons of Northern Darkness d'IMMORTAL. Elle contraste et poétise par rapport aux autres, plus abrasives et lourdes. Le mid-tempo dont j'ai parlé, accentue la pesanteur pachydermique de cette release mélancolique – néanmoins celle-ci est de temps à autre compensée par des élans épiques magnifiques, ou bien par une sorte de Black/Thrash au tempo de bal musette, cynique, que l'on entend sur la troisième piste. Einblick... est plein de surprises. Il est également bourré d'ambiances tragiques et désespérées. Le son de la guitare aquatique n'y est pas étranger : celle-ci donne toute son amplitude en réalité à la production. Lors de l'écoute, je me sens comme devant un paysage gigantesque où je suis débordé par la Nature et les éléments. Ce second disque de l'Allemand me fait également l'impression de me retrouver devant une grotte dont je perçois sans la voir, dans l'obscurité épaisse, la grandeur. Ceux qui pratique la spéléologie comme moi comprendront. Ce son particulier est unique : je n'en ai jamais entendu de semblable. Il est organique, vaste et est quasi clair. Je ne peux donc pas vous dire à quoi ressemble VERDUNKELN. Cette formation est singulière, forcément.

Ce titanesque, ce monumental full-lenght long de soixante-trois minutes est difficilement saisissable par des termes qui resteront abstraits, surtout quand l'on est autant frappé comme je le suis par celui-ci. Avant de chercher comment conclure cette chronique, je dois vous parler des compositions que Gnarl, l'homme derrière VERDUNKELN (avec son pote le batteur Ratatyske, tous deux officiant aussi dans GRAUPEL), a déployé. Elles sont au nombre de six et sont longues. Deux d'entre elles dépassent le quart d'heure : ainsi les ambiances s'installent pour de bon dans votre cervelle nécrosée. Le dépouillement dont fait preuve VERDUNKELN sera raillé par les imbéciles. Pas par moi ; ici, c'est l'expression d'une recherche esthétique qu'il faut comprendre, qui amène aux effets voulus. Si vous cherchez de la débauche de technique ne vous penchez pas sur ce disque. Toutefois, les garçons maîtrisent leurs instruments. Enfin BURZUM a bien prouvé qu'on pouvait allier simplification et réussite non ? Bref. Je ne vais pas m'évertuer à convaincre les réticents de nature et les obtus de mauvaise foi. Les compositions donc, sont fouillées : les parties s'enchaînent sans vraiment se répéter. On ne peut se lasser. Chaque titre est comme un puzzle : on passe d'un plan à un autre, et les émotions s'enchaînent. Il n'y a que dans cette incroyable troisième piste que l'hypnotisme atteint son zénith, car basse et batterie, de concert, ne varient pas. Les autres... Comment les décrire ?

Einblick in Den Quelenfall est un véritable voyage et cet itinéraire, je le vis à chaque écoute. Il m'entraîne dans mon Enfer intime et profond, dans cette grotte humide, ancestrale, mille fois vieille comme une vie humaine. Une sorte de pèlerinage mystique et personnel. De l'Art Noir, pur jus.
Einblick in Den Qualenfall est une acquisition indispensable.
http://www.myspace.com/verdunkelnfanpage