En 1987, Lou Gramm est riche. Cela fait déjà dix ans qu'il se goinfre avec Foreigner, et le dernier disque en date, Agent Provocateur, même s'il a marqué une sérieuse baisse d'inspiration, a été porté à bout de bras par le hit monstrueux « I Want To Know What Love Is ». Oui mais voilà : les rois du hard FM et de l'AOR sont fatigués. Avec Mick Jones, ce n'est plus l'idylle des débuts, et le duo de songwriters qui a fait le succès de Foreigner connaît quelques ratés : l'un s'en va souffler un peu en jouant les producteurs – notamment le fameux 5150 de Van Halen – et l'autre s'essaye à une amorce de carrière solo. Foreigner n'est pas encore mort, et Inside Information son dernier album écoutable (ou presque), sort d'ailleurs la même année que Ready Or Not. Mais voilà, gavé de fric, prisonnier d'un groupe qui survit grâce à des ballades gorgées de synthés - Mick Jones a compris la recette du succès -, Gramm a besoin de se refaire une crédibilité artistique et de se prouver qu'il est encore capable de faire du rock, du vrai. Aidé d'une équipe rassemblée pour l'occasion, il tente le coup du retour aux sources.

A ses côtés, en plus de son frère à la batterie (!), on a surtout deux musiciens qui vont jouer un rôle certain dans la réussite – musicale et commerciale – du disque : d'abord son vieux compère de Black Sheep (le premier groupe culte de Lou Gramm avant Foreigner), le bassiste Bruce Turgon, qui participe à l'écriture des morceaux. Et surtout le guitariste Nils Lofgren, membre du E Street Band de Springsteen à l'époque de Born in the USA, et qui a joué aux côté de Neil Young, notamment sur la mythique Tonight's the Night. Tandis que Turgon compose avec Gramm des morceaux très hard FM dans leur structure, et finalement assez proche de Foreigner dans sa version rock, Lofgren apporte le son : une guitare très présente, des riffs bien aiguisés – sur l'excellent « Time » – et quelques solos acérés et éparpillés ça et là, donnant au disque l'arôme hard rock qui manque parfois à Foreigner à l'époque. Le succès va venir d'un tube inattendu : « Midnight Blue », chanson assez classique qu'il faut replacer dans le contexte d'alors, celui de l'AOR triomphant. En phase avec son temps, l'album solo de Gramm cartonne gentiment.

Bien entendu, l'originalité et l'inventivité n'ont pas leur place ici. Les morceaux sont d'abord des supports pour Lou Gramm, qui maîtrise parfaitement son chant et distille ces mélodies vocales fascinantes dont il a le secret, comme sur le mid-tempo langoureux « Until I Make You Mine » et son ambiance sobre et mélancolique. Et lorsqu'il se fait plus agressif, le temps d'un « She's Got to Know » costaud qui rappelle presque (mais pas tout à fait !) le glorieux Foreigner 4, on mesure toute sa richesse vocale mais aussi les éternelles limites dans lesquelles il s'est toujours enfermé : on peut saluer ce disque comme celui que Foreigner aurait peut-être du sortir pour retrouver un second souffle après l'épuisement des années 80, mais on peut aussi constater qu'aucun risque n'est pris ici pour sortir des codes et des figures de style propres à cet « arena rock » sucré et pompier dans lequel le groupe excellait. Ready or Not est un très bon album, direct et classieux, mais c'est aussi la terrible preuve que, même libéré, même en pleine possesion de ses moyens et entouré d'une équipe ambitieuse, Gramm restait d'abord le chanteur de Foreigner.