Si il y a bien un truc auquel je ne m’attendais pas en m’emparant sournoisement de la discographie des australiens de KARNIVOOL sur NIME, c’est bien de me retrouver face à un album à l’étoffe galactique tel que le propose cet "Asymmetry" pondu en juillet 2013.

Œuvrant dans le registre d’un Metal Alternatif vivifiant mais somme toute assez classique, le premier-né de ce drôle de combo des antipodes ("Themata" 2005) laissait certes entrevoir, en plus du talent indiscutable des musiciens, une certaine appétence pour l’originalité mais sans pour autant ambitionner de révolutionner le schmilblick… Et pourtant !
L’ami Dark Bouffon ne s’y était pas trompé en sautant à pieds joints dès 2010 sur la seconde sortie studio du gang à l’inspiration menée par la paire Ian Kenny (chant) - Andrew Goddard (guitares), le très réussi "Sound Awake" (2009), dont la Kro inspirée du confrère décrit au mieux l’originalité urticante comme le pari réussit d’un Metal Prog’rock atmosphérique aux ambiance travaillées comme aux riffs claquants. Et il faut bien le reconnaître, l’écoute de ce chapitre 2 permet de mesurer toute la hauteur de marche le séparant d’un "Themata" qui même très fréquentable, apparaît dés lors comme un gentil brouillon de jeunesse.

Le succès d’estime remporté par "Sound Awake" propulse ces drôles d’hurluberlus du pays des kangourous et leur chanteur à la signature vocale si particulière, dans l’arène mondiale des Progueux nombrilo-pointilleux qui examineront désormais à la loupe la moindre prise de son d’un KARNIVOOL que certains n’hésitent d’ailleurs pas à comparer à quelques poids lourds du circuit… un MUSE, un TOOL ou encore un PORCUPINE TREE : syndrome de la référence, sors de ce corps !
Or loin de se précipiter pour surfer sur cette soudaine notoriété en salopant un troisième opus illico-presto enregistré à la va-vite et faire tinter la machine à dollars, les australiens vont au contraire prendre le temps de maculer leurs pompes à la poussière de la scène afin de glorifier leur art et retrouver leur public : chapeaux bas messieurs, tous les requins du circuit ne se seraient sans doute pas risqués un tel exercice !

Ces fourbes vont même prendre carrément leur temps afin de concocter un digne successeur à leur cru 2009, suite se devant manifestement d’être autre chose qu’une simple redite sur laquelle on aurait collé deux trois gimmicks en plus et hop, ça roule coco ! Le bien nommé "Asymmetry" ne paraîtra ainsi qu’en 2013 sous le regard, et surtout les oreilles, interloqués des nombreux observateurs : Oui, KARNIVOOL semble bien avoir remporté son pari contre le sacro-saint syndrome du copier/coller et sort un engin complètement imprévu… Mais c’est quoi donc au juste ce bidule ?

Ce bidule… c’est tout d’abord une pochette emblématique nimbée de couleurs chaudes tout en étant éclaboussée de noir et sur laquelle se distinguent deux silhouettes dont les regards et les postures s’opposent malgré leur proximité : un sentiment d’unité contrebalancé par un soupçon de déséquilibre qui retranscrit avec une troublante précision la musique qu’y propose le combo. Car pour ce troisième opus, KARNIVOOL parvient (encore) à surprendre avec une musique foutrement envoûtante et foncièrement imprévisible dans laquelle les opposés se côtoient, capable de passer du soupir discret à l’ouragan déchaîné sans prévenir ! Aussi, si il me fallait décrire "Asymmetry" en une formule et une seule, j’écrirai que je n’ai jamais écouté un foutoir aussi finement travaillé. C’est dire si cette Kro ne va pas être évidente à dérouler…
Oscillant entre effets électroniques tonitruants, rêveries atmosphériques, guitares massives hyper-saturées, séquences groovy à ravir ; le tout enrobé par la voix haut-perchée mais surtout si expressive d’un Ian Kenny clairement inspiré, KARNIVOOL propose ici une œuvre tant immersive que personnelle et façonne un Metal alternatif aux figures de style volontairement désarticulées… Une musique en rupture dont les éclats sont réassemblés selon l’inspiration des musiciens et la teinte voulue sur chaque titre… Bluffant !

Aussi, il est important de souligner la hauteur de la très impressionnante prestation réalisée par l’ami Steve Judd dont l’art et la batterie prennent littéralement vie en produisant des rythmes improbablement syncopés, admirablement déséquilibrés tout en demeurant un soutient tant solide que permanent pour les digressions des autres musiciens : un rocher en mouvement perpétuel auquel on ne cesse de s’accrocher pour survivre à ce voyage éclaboussant ! C’est ainsi à un véritable travail d’orfèvre rythmique auquel se livre ce surprenant batteur qui demeurera à jamais pour le manchot des baguettes que je suis, l’élément le plus notable, voir le plus attachant de cet album hirsute.

De fait, au cours de ce voyage bouillonnant comme décapant qu’offrent les australiens, au risque d’ailleurs de décourager les amateurs d’un Metal propret et rectiligne mais souvent trop prévisible, se dégagent quand même de jolies pépites d’or fondu dont les écoulements sont venus brûler les pauvres oreilles du gentil haplo. La marque la plus profonde a sans conteste été provoquée par le trapu et très pénétrant "The Last Few" coiffant sur le poteau son asymétrique opposé personnifié par le progressif et tout en nuance "Aeons" avec lequel il constitue une sorte de diagonale du fou.

Mention spéciale également pour de jolis moments passés avec le rageur "A.M. War" et ses guitares en mode sirènes ou ses lignes délicieusement tabassantes comme avec le brutal "The Refusal" où les hurlements se marient admirablement bien avec des accélérations riffées qui mettront la tête dans le seau à tous ceux qui considéreraient KARNIVOOL comme une formation popisante incapable de fendiller les murs…

Dense, percutant mais aussi soft et parfois un peu paumant, "Asymmetry" n’est sans doute pas à la portée du premier headbangueur qui passe. Tout en y affinant leur style, les australiens ont voulu marquer une rupture avec un "Sound Awake" qui sonnait un chouia plus Heavy en y intégrant des éléments moins balisés dans une optique pluridisciplinaire. Il se situe très loin des machins pré-emballés que nous mâchouillent certains combos actuels… et réclame à ce titre une acclimatation qui fera (peut-être) fuir les impatients. Bon album d’un groupe mature, il a su me divertir et m’accrocher sur certains titres mais sans me passionner sur toute sa durée… C’est la dure loi (assumée) des goûts personnels. J’espère néanmoins réentendre prochainement le gang de Kerry dans de nouvelles explorations musicales, et sachant qu’un single est sortit en 2021 ("All It Takes" vieux de quatre ans déjà!), tout espoir n’est donc pas perdu de revoir sous peu ces perfectionnistes foutrement inclassables.

Trempé jusqu’aux os par l’humidité collante qui sature ce brouillard multicolore, je cours comme un dératé après ces deux silhouettes fugaces. Le sol spongieux du marécage avale mes pas en me donnant l’impression d’être un vieil ivrogne désarticulé. Les deux formes floues chancellent mais font preuve d’une fluidité surprenante… je ne les rattraperai jamais ! Juste avant de trébucher j’assigne un sévère 3/5 à cet "Asymmetry" dont les circonvolutions métalliques m’ont séduites sans pour autant me donner des ailes. Qu’il en soit ainsi !

- pour la morsure : "The Last Few",
- pour la ponceuse à vilebrequin : "A.M. War",
- pour la respiration : "Aeons".