RIVERSIDE fait partie de ces rares groupes à la discographie exemplaire. Alors, certes, ils ne tentent pas le renouvellement quasi permanent de certains (e.g. PAIN OF SALVATION (POS)) ni ne misent sur une certaine rareté autorisant de circonvoluer autour d'une formule somme toute bien établie (e.g. TOOL) mais, entre ces deux pôles d'influence, RIVERSIDE explore différentes facettes de son univers musical (de son soundscape) sur chacun de ses albums.

Après une trilogie introductive ("Reality Dream") inspirée du MARILLION époque Fish, de PINK FLOYD et PORCUPINE TREE (PT) et de l'approche "alternative" du Metal Prog' de POS et TOOL, ils ont durci leur propos sur un "Anno Domini..." plus Metal. L'album suivant faisait office de transition à posteriori et celui d'après était encore plus soft, plus atmosphérique, plus Heavy Prog que Metal Prog finalement. La mort du gratteux Piotr Grudziński début 2016 a ébranlé le groupe mais ne l'a pas coulé. Ils ont décidé de continuer en trio et "Wasteland" fut sans surprise leur album le plus sombre, le plus pesant, un album hanté comme le soulignait justement mon collègue Dark Beagle.

"Wasteland" était une épitaphe à Piotr. Le Covid, les confinements, la situation géopolitique (RIVERSIDE est un groupe polonais, la guerre menée par Poutine en Ukraine est donc leur voisine directe) furent/sont autant d'épreuves noircissant la mélancolie inhérente à leur musique mais exacerbée par le décès de leur compère. "ID.Entity" se veut un nouveau départ, une page tournée sur ces années sombres et une volonté d'aller de l'avant. Et pour leur leader Mariusz Duda, une manière différente d'aborder sa propre mélancolie. Sur "Love, Fear And The Time Machine" il avait déjà voulu s'en émanciper, écrivant un album joyeux. Le résultat fut plutôt aux antipodes. Du coup, cette fois-ci, au lieu de combattre sa nature il l'a acceptée et a cherché à dynamiser, intensifier et plus partager (moins contrôler) ses compos en déléguant davantage et en enregistrant de façon plus spontanée (dans un esprit live).

Cette notion de contrôle, elle est au cœur du concept développé sur "ID.Entity". La recherche de notre identité, notre soi, dans une société qui tend de plus en plus à nous contrôler que ce soit par la technologie ("Big Tech Brother" ("BTB") et ses références au "1984" d'Orwell et au "Brave New World" d'Huxley), la désinformation ("Post-Truth"), l'aseptisation où le paraître supplante l'être ("Friend Or Foe?" ("FOF?")), la compétition érigée en modèle, qui nourrit pourtant les extrêmes politiques ("The Place Where I Belong") et la polarisation des pensées qui facilite la manipulation des masses et leur déconnexion ("Landmine Blast"). Ne pas céder à la superficialité ("FOF?"), protéger notre vie privée ("BTB"), se libérer d'entourages délétères ("I'm Done With You"), rechercher la vérité au-delà des apparences ("FOF?", "Post-Truth") et enfin se reconnecter aux autres, s'engager collectivement dans une société qui suscite la déconnexion et l'apathie ("Self-Aware"), sont autant de réponses ici proposées.

Cinq ans ont donc passé depuis "Wasteland", le deuil a fait son temps ou l'inverse, Maciej Meller (d'abord présent sur les tournées) est devenu guitariste officiel du groupe en 2020, et cet "ID.Entity" se veut donc plus lumineux, à l'image de sa pochette joliment appropriée (signée Jarek Kubicki), exhalant même des arômes Pop surprenants mais réjouissants. La production est soignée et si on y décèle un certain manque de puissance, je la trouve assez équilibrée pour valoriser la musique contrastée des Polonais. La recette ne change pas fondamentalement mais elle est bien twistée par de nouveaux ingrédients. Et RIVERSIDE assume totalement d'édulcorer son propos puisque parmi les trois singles du disque, deux arborent ces saveurs Pop (et ils sont mis en avant en ouvrant et fermant le disque). "FOF?" ose le clin d’œil à la New-Wave 80s, Mariusz Duda prenant même des intonations à la Morten Harket (A-HA). "Self-Aware" mixe Pop 80s, Reggae, Heavy Prog mid-70s et Rock Psyché et y va à fond (ces "oh-oh oh oh" très "FM"). Et ça marche. C'est très bien écrit. C'est très fluide malgré les références. Si l'opener est un poil long, le final track est un petit bijou.

Le troisième single, "I'm Done With You", est plus Metal. Une structure itérative, des progressions par à-coups et des explosions à la TOOL avec un chant qui évoque tantôt Maynard tantôt Vince Cavanagh (ANATHEMA). Et cet orgue hypnotique qui accompagne les montées du motif principal comme des transes addictives. On y retrouve le style RIVERSIDE, option boost alternatif. Une vraie réussite.

Le style des polonais, on l'aborde sous toutes ses formes sur cet "ID.Entity" par ces petites personnalisations qui viennent épicer le menu. Ritournelle orientale qui parfume le socle Prog' alternatif cher au groupe ("Landmine Blast"), passage Jazz Fusion jubilatoire ("Big Tech Brother" dont la mélodie de chant évoque le "Full Throttle Tribe" de POS), parties aériennes PT-esque ("Post-Truth") voire carrément FLOYD-iennes ("The Place Where I Belong" qui met en avant l'orgue Hammond de Michał Łapaj dans un groove Hard Proggy 70's bonnard). Si le groupe soigne particulièrement les atmosphères qu'il dresse, la guitare vient donner du relief à l'ensemble par ces patterns itératifs typiques (e.g. "Landmine Blast"), des riffs percutants ("Post-Truth" et ses saccades) et/ou des motifs groovy ("The Place Where I Belong"). RIVERSIDE varie ainsi les plaisirs en respectant l'équilibre des goûts. Un vrai travail de chef. Quatre étoiles au guide NIME 2023.

La deluxe edition comporte deux bonus instrumentaux savoureux qui déclinent l'Ambient (le PT-esque aérien "Age Of Anger" et le Hard Prog' FLOYD-ien "Together Again" qui fait une nouvelle fois la part belle à l'orgue) et les versions single edit de "FOF?" et "Self-Aware".

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Pas de sélection pour une fois mais voici la carte du menu étoilé :

Mise en bouche "Pop" : "Friend Or Foe?".
Entrée épicée : "Landmine Blast".
Premier plat en déclinaison colorée : "Big Tech Brother".
Trou normand bien pêchu : "Post-Truth".
Pièce-maîtresse imposante mais légère : "The Place Where I Belong".
Mignardise punchy : "I'm Done With You".
Café gourmand bigarré : "Self-Aware".

Digestif en nuages vaporeux : "Age Of Anger" & "Together Again".
Twist final, revisite "Pop" : "FOF?" & "Self-Aware" [versions single edit].