Ne nous voilons pas la face et osons le dire : en matière de Folk Metal, la production actuelle n'est pas des plus flamboyantes. Le faible nombre de chroniques consacrées au style publiées depuis quelques années sur ce noble site atteste de ce marasme ambiant, et n'est pas uniquement dû au déficit de chroniqueurs amateurs d'instruments traditionnels et d'ambiances folkloriques. Mais les albums souffrent d'un manque évident d'intérêt, malgré un nombre important de formations désireuses de tirer leur épingle du jeu. Bien souvent, ils sonnent horriblement mal (jetez donc une oreille au dernier CRUACHAN), les groupes se cachant derrière l'excuse-épouvantail de la "tradition orale" qui les exonèreraient de toute exigence en matière de qualité sonore. Plus souvent encore, ces albums n'ont de Folk Metal que l'étiquette et consistent en un amalgame sans intérêt de guitares Black ou Heavy sur lesquelles quelques notes de biniou ou de cornemuses ont été jetées pour la forme. Ainsi, mis à part du côté de la toujours très intéressante scène allemande (SUBWAY TO SALLY, TANZWUT, FEUERSCHWANZ), il semble bien difficile de trouver de quoi se sustenter, le Folk Metal étant une étiquette de plus en plus galvaudée (qu'on me dise ce qu'il y a de Folk chez BLOODYWOOD, version indienne de LINKIN PARK qui a fait parler d'elle en 2022).

SAUROM est ainsi une exception. Mieux c'est un modèle, un exemple à suivre. Car depuis sa création à Cadix, au sud de l'Espagne, dans le courant des années 90, le groupe n'a eu de cesse de s'affirmer, de se remettre en question et de se développer, n'hésitant pas à raccourcir son nom, et à remettre de l'ordre dans ses influences, à chasser tantôt en terres Power Metal, tantôt en terres Folk, n'hésitant pas à bousculer les amateurs de sa musique. Depuis quelques années, la formation qui n'a rien à envier aux incontournables MÄGO DE OZ a trouvé le dosage parfait entre ces différents styles qui constituent sa musique et, sur ces bases stables et saines, n'a de cesse de proposer des albums dont la flamboyance n'est pas artificielle. Car SAUROM est la définition du Folk Metal, le groupe ayant parfaitement compris que c'est avant tout l'esprit du groupe, la construction des morceaux et la démarche qui importe. Le reste n'est que fioritures. D'ailleurs, toutes les mélodies jouées par des instruments traditionnels (la flûte, notamment) pourraient ici être remplacées par des guitares sans que le résultat ne soit fondamentalement différent. SAUROM resterait Folk Metal par son interprétation et la force de ses mélodies.

"El Pájaro Fantasma" pourrait d'ailleurs à tout moment basculer vers un autre univers. Si les sonorités d'ouverture du morceau-titre qui démarre l'album sont résolument Folk, les arrangements fournis, les superpositions de mélodies vocales et la construction mélodique ne sont pas si loin du Metal Symphonique, une remarque qui s'applique également au formidable "Ojos Verdes" en fin d'album. SAUROM s'affranchit des barrières et propose ainsi un album libre, débridé, qui malgré les tons sombres de sa pochette se révèle particulièrement lumineux. Cette lumière transparaît essentiellement lorsque le groupe se fait particulièrement direct, entre Power, Folk, et Rock, proposant des titres d'une efficacité redoutable qui témoignent d'un savoir-faire indiscutable et surtout d'une inspiration infaillible. "No Seré Yo", porté en introduction par une guitare acoustique et un violon irlandais, fait le lien entre Punk, Metal et Folk, sa rythmique enlevée et sa pureté mélodique en faisant un atout majeur de cet onzième album des Espagnols.

"El Pájaro Fantasma" constitue ainsi le compromis parfait entre les sonorités Hard/Heavy appréciées des membres du groupe et la douceur apportée par le chant (puissant et légèrement voilé) et les instruments traditionnels, essentiellement la flûte. Chaque note revêt un intérêt, et chaque morceau porte une ambiance. L'accessible "Burlesque" peut ainsi constituer une porte d'entrée intéressante dans cet univers savoureux, son refrain "facile" et Rock pouvant constituer une entrée en douceur vers les ambiances plus complexes de "Fuego" sur laquelle la guitare-reine et les chœurs virils témoignent de l'envie du groupe de muscler son Folk.

Quelques ballades, comme autant de respirations, sont autant de prétextes permettant d'apprécier le chant si charismatique de Miguel Ángel Franco ("No Quedan Palabras"), mais l'intensité rugueuse de "Mejor Sin Ti", qui évoque les premiers albums du groupe, témoigne de cette volonté de jongler en permanence entre folklore et distorsion, pour un résultat particulièrement savoureux. Plusieurs niveaux de lecture permettent d'apprécier ces morceaux qui, d'apparence souvent immédiate, cachent souvent des changements de rythme et des arrangements dont la pertinence ne se dévoile qu'au bout de multiples écoutes. Fort de son expérience, SAUROM sans complexe ratisse large et s'adresse à tout le monde tout en parvenant à rester cohérent.

"El Pájaro Fantasma" est un album à la fois intimiste et explosif, festif et mélancolique, revendicatif et ordonné. En ce sens, il constitue une des réalisations abouties de SAUROM qui surprend ici par sa capacité à faire preuve de concision tout en parvenant à proposer des morceaux de qualité égale. L'album, en ce sens, s'écoute comme un antidote aux maux d'une époque qui sortirait grandie de l'écoute de cette fantaisie maîtrisée, comme une fleur plantée sur le canon d'un fusil. Sans doute l'album le plus cohérent de SAUROM.

4,5/5.