Le Funeral Doom a ses détracteurs et ses adeptes imprégnés jusqu’à la plus substantielle moelle de leur os. Mieux que tout autre style, il permet la mise en images de la pensée à travers de longs morceaux s’étirant comme autant d’horizons et de lignes d’infinies. Cette musique sombre et volontiers bardée d’une aura mystérieuse voir mystique agite sa lanterne et ouvre en chacun une boîte de Pandore. C’est un focus remarquable sur le dépliement des émotions internes, comme un être vivant qui se replie en lui-même pour créer sa propre nuit mais attendant la lumière pour à nouveau se rouvrir à l’existence. À l’instar par exemple des fleurs à l’aube qui, au contact des premières lueurs, dévoilent leur beauté et s’offrent à la vie dans une grande innocence, balancées par les vents et les piétinements, elles plient mais ne meurent pas, elles absorbent et se régénèrent dans un temps certain. Le Funeral Doom est à l’image de la flore terrestre, il révèle du souvenir enfoui ressurgissant grâce aux cénesthésies et aux correspondances tout comme les fleurs, qui, grâce à l’eau et à la lumière produisent la photosynthèse, cette grande transformation incroyable du non-vivant en vivant.

Écouter COLOSSEUM c’est comme revenir après des années d’absence dans un endroit chéri ou un pan de forêt que l’on connaît et où l’on se laisse avec délectation traverser par l’imprévu. La promenade sera volontiers hypnotique guidée par des sens en éveil qui essaieront de capter le temps passé ou bien encore les émotions enfouies, surgissant d’un coup d’un seul, montant par vagues entières dans la conscience. Car oui, COLOSSEUM crée un Funeral Doom faisant ressortir cet état mental, "Chapter I: Delirium" produit une musique rauque faisant vrombir le corps et trembler le cœur. C’est ce chemin de forêt qui s’éternise obscurcissant la temporalité et/ou semblant l’arrêter, la suspend dans l’entre-deux, dans un espace-temps vide et inconnu.

Dans l’après-coup, vous serez littéralement habité par "Weathered" qui fait éclater dès les premières notes une mélodie très YEARNINGienne si je peux m’exprimer ainsi. Les chiens ne font pas des chats n’est-ce pas et ce diable triste de Juhani Palomäki n’y va pas par quatre chemins pour mettre dans un coma artificiel son auditeur. Il me semble bien tenir le morceau béni de l’album, abondant d’émotions axphyxiant l’auditeur au coup de boutoir d’une batterie éveillée et martelant un tempo comme autant de clous dans la peau. Mais les autres titres de l’album ne sont pas en reste et délivrent des montées mélodiques intéressantes comme sur la plage sonore introductive "The Gate Of Adar", larvée au possible dans les fanges boueuses d’un marais ou de sables mouvants près d’une berge inatteignable. C’est certain, "Chapter I: Delirium" ne délivre pas le bonheur du moi idéal mais la rêverie d’un mieux-être semble possible. Les éclats mélodiques si propres à ce maître finlandais qu’est Juhani permettent à COLOSSEUM de naviguer dans une eau saumâtre à la croisée d’affluents sombres et boueux en direction d'une mer d’espoir bleutée et immense. Les incursions d’un clavier omniprésent sur l’album sont finement construites, elles labourent le cerveau avec leurs ritournelles entêtantes ("Corridors Of Desolation") et fendent l’air en accompagnant un growl bien caverneux et une guitare affinée, mélodique, comme sur "Saturnine Vastness".

Il y a du YEARNING un peu partout dans COLOSSEUM, le Doom du premier ayant infusé avec beaucoup de maturité dans le second. Prenez le temps de piquer votre curiosité en écoutant l’épilogue sublimissime "Nemo Ante Mortem Beatus" (= Personne n’est heureux avant la mort) du dernier album de YEARNING "Merging Into Landscapes" sorti en 2007. Vous y trouverez la clef manquante du sublime "Weathered" présent sur cet album de COLOSSEUM. Je suis sensible au génie de Juhani Palomäki et je retrouve avec une joie contentée l’ensemble des éléments qui ont fait passer à la postérité les albums géniaux que sont par exemple, "Evershade" ou bien encore "Plaintive Scenes" : le raffinement des compositions, la pureté des émotions que les riffs mélodiques trahissent et un je ne sais de quoi supplémentaire qui rend attachant les œuvres de son géniteur. Le respect peut-être ou tout simplement sûrement mon envie d’applaudir, une larme débordant d’un œil et le cœur palpitant.