Bonheur de la Providence, je découvre PRÉCIEUX SANG et son Black Metal spirituel durant ce Carême 2023. L’occasion de méditer sur les Évangiles aux côtés de ce "Les Nuits de Gethsémani", dont le propos renvoie à l’épisode de l’arrestation du Christ en ce lieu. Gethsémani est de nos jours encore un endroit bucolique, parcouru de cèdres, isolé du vacarme de la ville. Un lieu idéal pour le Christ qui vint y prier une dernière fois, conscient que la nuit à venir serait celle où l’un de ses apôtres le trahirait. La nuit de Gethsémani est ainsi celle qui marque le début de la Passion, celle durant laquelle Jésus confiera à Paul, Pierre et Jacques cette phrase immortalisée par les artistes : « Tristis est anima mea », soit « mon âme est triste ». Intéressant que PRÉCIEUX SANG ait choisi de nommer son album au pluriel, et il me semble que le sieur insiste sur les nuits comme métaphore d’étapes sombres que va traverser le Christ, que cela soit spirituel ou corporel. Entre la trahison de Judas, le reniement de Pierre, l’abandon de tous, la solitude implacable sur la Croix, tout n’est que nuit, et toutes ces nuits sont fondatrices de ce qui reste le plus grand événement de l’histoire de l’humanité.

C’est donc à un sujet imposant que s’attaque PRÉCIEUX SANG, un sujet qu’on doit approcher avec fébrilité, foi et respect. Est-ce le Black Metal de PRÉCIEUX SANG qui est né au contact de la nuit noire de Gethsémani ou était-il déjà taillé pour ce mystère ? Question légitime tant PRÉCIEUX SANG semble habité par le feu sacré, que cela soit dans le riffing le plus traditionnel (implacable entrée hypnotique de "Le Sang Du Mystère") ou, surtout, dans les parties mid-tempo foncièrement contemplatives, la palme de la beauté incandescente étant attribuée au final de "De La Paille Et Du Grain", majestueux et triomphant comme le Christ ressuscité. À bien des égards, le riffing de PRÉCIEUX SANG a l’apparence de la simplicité, mais il tranche exactement où il faut, il saisit l’âme à la gorge, il habite l’esprit et reste un moment pour ne le quitter qu’avec regret. On ne peut en dire autant du chant, plein de gimmicks clairs, et qui ne quitte jamais ni le même rythme ni la même intonation. On sent la volonté d’exprimer les tréfonds d’une âme habitée par la lumière christique, mais cela reste trop monotone et faiblard.

La logique de PRÉCIEUX SANG est celle de la frugalité. Les riffs sont peu nombreux mais précis et bien travaillés, les mélodies parsèment l’ensemble avec justesse et la répétition est la clef d’un Black Metal qui repose définitivement sur la méditation. Le caractère hypnotique du Metal Noir de PRÉCIEUX SANG rappelle les expérimentations de CULT OF FIRE et certaines plongées abyssales du DSBM, type SHINING. Exemple parfait avec le long interlude en arpèges au cœur de « De La Paille Et Du Grain", avec son archive audio pour seule compagne. On pourra pester contre la radicalité de PRÉCIEUX SANG, qui étire souvent le riff (le final de "Délectation Morose" ou les entrées de " Le Sang du Mystère" et "De la Paille Et Du Grain"), et je dois dire qu’il y a là une forme de facilité dans la structure, mais on ne peut écarter la passion qui émane de ces lignes de guitare. Nul doute que celle-ci est renforcée par une production impeccable, moderne, claire, fait toujours inédit dans le monde du Black Metal où la crasse reste reine. Ici, tout est lumineux et bien mis en valeur, même la basse, dont les mélodies sont cependant bien sommaires.

"Les Nuits De Gethsémani" exerce une étrange force d’attraction. J’ai pu souligner pourtant les problèmes inhérents à ce premier album : monotonie, structure répétitive et chant peu marquant. Mais rien n’y fait, il y a dans ce Black Metal trop de passion et de foi pour qu’il ne me touche pas. Il faut dire que le Black Metal chrétien est rare, et qu’il pourrait facilement virer à la grandiloquence. Il n’en est rien ici et je salue la simplicité de PRÉCIEUX SANG comme un hommage au Christ. À l’écoute de cet album, je me vois en pèlerinage en Terre Sainte (un de mes rêves de voyage). À Gethsémani, je m’imagine au milieu de cèdres qui ont connu le Christ, et quand la puissance radieuse du riff final de "De La Paille Et Du Grain" vient me frapper, je vois le Seigneur en gloire, méconnaissable, transfiguré, qui irradie de lumière et me dit en toute confiance : « La paix soit avec toi ! ».