Tout comme il est plus facile pour un viandard de tolérer la salade verte lorsqu'elle se trouve confortablement installée dans un burger agrémenté de cheddar et de boeuf broyé, il est pour un metalleux plus tolérable d'accepter le coup de pipeau lorsqu'il s'accompagne de gros riffs et de blasts que lorsqu'il se trouve à l'état sauvage. En soi, E-AN-NA pouvait, avec "Nesf​â​r​ş​ite", convertir un très large éventail de chevelus, il ne restait plus qu'à "convertir l'essai" avec un "album de la maturité", afin de cimenter un peu le créneau dans lequel il était établi. Il aura fallu que la troupe, beaucoup trop éclectique et savante pour son bien, nous sorte le purement folklo-tango-cinématique "Fascinathanatango" pour perdre un public encore en apprentissage, potentiellement révulser les viandards pour qui un trop long coup d'accordéon non accompagné de la pulsation rassurante d'un riff Hardcore s'apparenterait à manger une salade de pois chiches dans un restaurant où le nombre de chignons deviendrait sincèrement insoutenable.

Je dois avouer que, pourtant très végétarien en termes de folklore, je croisais les doigts pour que la sauce redevienne un peu plus protéinée en B12 pour un groupe qui, il me semblait, avait trouvé une alchimie parfaite. Après l'EP "M.L.R" prenant l'orientation du Folk Metal la plus proche des Arts du Cirque, il ne restait plus qu'à espérer qu'un peu de muscle et d'émotion forte revienne sur la table.

C'est à la fois chose faite et chose pas faite avec ce "Alveolar" qui est tout aussi excellent qu'il ne sait pas trop dans quelle position il se trouve. Outre l'explosion incroyablement efficace de "'Colo'mbia", combo d'un refrain plein de joie hurlée et de couleur saillantes lourdement épaulées par la disto, teinte extrême et flûte pogotante comme on l'aime (par "on" je veux dire moi bien sûr), il faudra attendre le dixième titre pour que la sauce Folk/Hardcore de E-AN-NA se restabilise.

Commençons donc par la fin, avec, à partir de "Trecătoare", le retour à des nuances plus grises (ledit titre), ou des passages plus sautillants dans "Suit În Nor", "Cenusju" ou ce "Floare De Fier" qui ferait du pied à DIRTY SHIRT par dessus la table que ça ne choquerait personne. Du Folk Metal plein de contraste, certes plus proche d'un GRAI que d'un ARKONA dans le feeling (entendre par là, avec une fibre plus trad et axé sur le chant clair féminin), avec cette teinte moderne moins appuyée mais toujours présente. Dans le haut du panier, impossible de ne pas mentionner ce "Fântânile De La Capătul Lumii", condensé de tout le reste, impressionnant mélange de Pop éthérée, de Folk Metal dans la tradition de l'Est la plus orthodoxe et ponctué de bass drops tous aussi débiles que bien sentis : E-AN-NA dans une coquille de noix, comme dirait les Britanniques.

Une fois portée par cette fin d'album, on revient alors sur son début, plus folk tendance musique du monde, qui a l'air de chercher une direction sans trop la trouver. De ses premiers titres à l'allure folk fusion certes intrépide mais n'aboutissant qu'à des demi idées ne passant pas toujours la troisième minute, jusqu'à ce "Les" piqué à DIABLO SWING ORCHESTRA nouvelle mouture (ce qui est quand même bien). C'est finalement au deuxième tiers, où le "Fagure Negru" à la fois superbe et hors-sujet, plus proche d'une EIVOR que d'un ARKONA fait tourner "Alveolar" du côté de la lumière et de la mélancolie, mais aussi dans une attitude assez lancinante qui laisse dans l'expectative (le rituel "Biba", la ballade "Dulce" qui aurait bien mieux fermé l'album). Des titres qui individuellement sont beaux mais ne semblent pas vraiment interagir avec le reste, surtout une fois que "Trecătoare" déboule.

"Alveolar" se promène, paraît parfois en errance. E-AN-NA prend le risque assez inutile de perdre la base acquise avec "Nesf​â​r​ş​ite", et de se faire d'ores et déjà identifiée comme un groupe déjà sur la voie de la sagesse, diluant ses idées les plus agressives dans son accordéonite aiguë. Cela laisserait en l'état peu de chance pour que la redécouverte de "Nesf​â​r​ş​ite", et même l'espoir que le groupe reprenne du poil de la bête plus tard ne se réalise. "Alveolar" ne confirme ou n'infirme pas cette position, mais le passage récent sur l'émission Românii Au Talent (équivalent roumain du Britain's Got Talent) me laisse tout de même penser qu'E-AN-NA pourrait prendre le risque de n'être qu'uniquement perçu comme une sorte de curiosité passagère.

Mais acceptons donc pour le moment cette nouvelle galette qui a pour moi un goût quotidien de "reviens-y" de par ses meilleurs efforts. Ce qui en soi me paraît déjà être un grand accomplissement.
Allez les amis, vous pouvez au moins éviter les salades de pois chiches et vous farcir les meilleures pièces de cet opus, ça en vaut le bout de salade entre les dents.