L'âge d'or du Folk Metal bien révolu, il faut en passer du temps, à écoper du charbon pour enfin trouver un album qui puisse raviver la flamme. Et puis il y a des trucs comme ce "Nesf​â​r​ş​ite", des Roumains de E-AN-NA, qui non seulement ravivent la flamme mais foutent le feu à la caravane entière.

Le genre d'album que personne n'attendait mais dont tout le monde avait besoin.

Dès l'ouverture dansante de "Viu", on sent l'influence de cette scène de l'Est dansante, qui avait trouvé une forme de sommet dans le "Vo Slavu Velikim" d'ARKONA. La référence à la bande à Masha est évidente, pourtant les guitares font des 0 et des 1 avec la casquette bien vissée au crâne, et on passera rapidement d'une mélodie prenante mais basique à une ambiance de place du village imprégnée des manoucheries qu'un GOGOL BORDELLO aurait du mal à désavouer.

Alors "Gipsy Folk" et Roumanie obligent, on pense à DIRTY SHIRT, E-AN-NA s'inscrivant dans une démarche de Fusion moderne plutôt que d'emprunter à l'imagerie médiévalo-païenne. Il copine avec le Hardcore à l'instar du tchèque CRUADALACH et enchaîne les riffs Djent pour porter ses accordéons et ses flutiaux. E-AN-NA tire sa pochette de l'alchimie ancienne et son patronyme de l'anthropologue Mircea Eliade - les repères fermement ancrés dans ce qui construit symboliquement la musique folklorique - mais s'inscrit en toutes lettres dans le présent. Un titre comme "Epitaf" se dresse en épitome de cette approche moderne, flûte guillerette en symbiose avec les breakdowns fâchés et les screams plaintifs.

Second trait : cette caméléonite aiguë, ces changements de forme, de sentiments et d'espace constants. Lorsqu'il revêt des traits jazzy ou swing, il s'approche de la formation arts du cirque de DIABLO SWING ORCHESTRA, mais ne s'interdit jamais de faire retomber une authentique rage sur nos têtes. Comme nombre de groupes que l'on taxait d' "Avant-Garde" à une époque (citons aussi RAM-ZET ou UNEXPECT sur le fond), E-AN-NA oppose un mouvement perpétuel, parfois au sein d'un même morceau, à un ancrage Folk Metal qu'on connaît plus avare en variation. Le résultat est plus généreux en mélodie que la discographie complète de KORPIKLAANI. E-AN-NA traverse et esquive les étiquettes comme un nomade évite les nations, embrasse la création comme un voyage ; une fin en soi où prime un feeling de spontanéité. À l'instar d'ARKONA, la musique de E-AN-NA se découvre aussi progressivement qu'elle regorge de détails, sans vélléité Prog, au service d'un flot d'émotions tout aussi subtilement agencé.

Ainsi, un titre comme "Pielea" passera du Swing à la guitare hispanisante, nous accordera un solo Heavy Mélodique pour repartir sur un Folk Metal festif quelque part entre GRAI et ELUVEITIE, pour terminer quelque part dans des cornemuses souriant à la scène Mittelalter allemande, et sur un refrain sous forme de communion profonde. Je vous renverrai également à ce "Mashiara" passant de l'acoustique à l'orchestral, des larmes aux rires et à la rage, du mid-tempo plaintif à une fresque cinématique (et potentiellement une des pièces les plus extrêmes de l'album).

Balkanisation convergente du Folk Metal, on fragmente pour mieux souder ; c'est ce qu'E-AN-NA aura en plus de DIRTY SHIRT autant que de ses compatriotes de ANTHEOS ou BUCOVINA : une vision d'ensemble sur ses voisins de l'Est, et plus encore, une approche syncrétique du Folk Metal sans passéisme et assez prolixe dans ses influences pour s'étaler sur 64 minutes parfois fatigantes mais dont il est difficile de tirer le morceau faible. Sa limite : la partie Metal, certes savamment dosée et ultra solide, mais bloquée sur une approche moderno-matho-djent (ouais j'y connais rien et ça se voit, déso les jeunes), qu'il n'allie jamais à d'autres influences extrêmes, qui auraient pu tout autant tirer la caravane vers le sommet que sa vision syncrétique du Folk.