Certains amours sont électrisants, frappent à la vitesse de la lumière, comme moi se liquéfiant face au jeune titan barriolé AENAON en 2014. J'étais en jus, mais aussi en "Extance" devant ce Black Prog foutrement créatif aux multiples influences et accents, dont celui du saxo qui pourfendait l'air déjà alourdi par tant d'audace. De l'audace comme celle-là, ça devrait s'écrire avec deux S, bordel !

Mais à l'intérieur de ces relations intenses, semblant parfaites, il y a souvent des heurts. Ça, c'est moi lors des premières écoutes de "Mnemosyne", 4e album des Grecs les plus originaux de la planète extrême. Je n'ai pas ressenti la morsure du ver géant, la faute à une trop longue attente depuis l'excellent "Hypnosophy" et à mes attentes décuplées par deux notes antérieures de 5. Pas de pression ! Mais y'a pas que. AENAON est plus direct sur "Mnemosyne", œuvre plus courte et concise dans les dédales et claire de look, ce qui tranche déjà beaucoup pour l'initié.

Il m'en a fallu du temps pour apprécier cette galette à sa juste valeur. Pourtant, elle est si facile à dévorer… si on n'a pas trop faim ! Le festin n'est pas si gargantuesque que par le passé, alors qu'"Extance" s'étirait sur plus d'une heure et "Hypno" 55 mins. Ici, on est 7 minutes plus bref, mais les Grecs ont éparpillé 3 instrumentales (très bonnes au passage !) sur 9 titres au total, ce qui nous laisse à peine 40 minutes de AENAON nouveau, de cirque Black avant-gardiste qui nous fait virevolter les neurones comme un cerf-volant.

Je rappelle cependant que vous ne ramasserez pas votre cerveau à la petite cuillère cette fois, l'irrévérence et le verbiage de la jeunesse s'étant évaporés avec l'après "Hypnosophy" et la pandémie. On tient là un géant du Metal moderne au coffre unique, qui nage en eaux profondes et explose le ciel, avec plus de classe et de fausse retenue qu'avant. Ça coule de source, c'est produit à merveille, interprété avec une douce folie et ça plaira aux amateurs d'ouvrages extraordinaires, mais bien équilibrés. À ce niveau, "Mnemosyne" dépasse de loin ses trois prédécesseurs. Quand on a compris ça, on peut pencher sa chaise et planer en gros naze.

Que vous soyez happés par la surprenante « légèreté » de la mélodieuse et musclée pole, "Psyche" et son très joli refrain choral, que l'offensive et groovy "Cartesian Eye" vous fasse croire qu'on a enfin trouvé le SIGH d'Europe, que la très accessible et plaisante "Synastry Of Heartbeats" ou que la pré-clôture de l'album, l'inoubliable "Mantledeath" (dans mon top 5 du groupe), vous poussent à imaginer le groupe dans un stade, vous n'êtes pas véritablement fou. Même si "Trauma Cultura" et "Hysteria" vous font moins saigner du nez, réécoutez et vous saisirez (peut-être) les nuances AENAONiennes, qui souvent se dévoilent lentement, comme un amour platonique. Et que dire de cette dualité chant gras/clair qui apporte une dimension supplémentaire à cette démolition de nos mœurs que dénonce le groupe ! Qu'importe, vous aurez été piqués au vif par le génie de ces athlètes du Black moderne à la forme chaotique.

Eh oui, les Grecs ont toujours été plutôt barrés créativement et ce quatrième album consolide sa personnalité unique. Chapeau à chacun des membres de ce quatuor, qui apporte sa pierre étincelante à l'édifice AENAON et qui contribuera à sa renommée même lorsque nous, pauvres pécheurs, auront disparu dans un nuage… de cendres et de sang.

Il faut de la patience, mais même le plus con des empressés peut être récompensé. Alors plongez dans cette forêt de riffs rondelets et imparables, de rythmes débiles, d'envolées saxophonées (putain, "Mantledeath" !!!) et de growls aussi magiques que cette démonstration de finesse.

Pas de Sélection toutefois. Pas besoin.

N.B : je n'ai pas écouté la version deluxe, grand mal m'en fasse.

Note : 4,5/5.

Podium : (or) "Mantledeath", (argent) "Cartesian Eye", (bronze) "Psyche".

Indice de violence : 3/5.