Maintenant que tel un phoenix il est réapparu, il était temps que le SORTILÈGE ressuscité confirme ce que l'on attendait de lui. C'est l'apocalypse qu'il nous promet, rien que ça. Artistiquement ambitieux, porté par un visuel très réussi de Stan Decker, aux couleurs moins saturées qu'à son habitude (tant mieux), "Apocalypso" se doit d'être un album réussi, car il serait regrettable que le groupe ternisse une discographie jusque là légendaire.

Et de "Légende", il en est d'entrée question à l'écoute de l'excellent titre d'ouverture "Poséidon" tant celui-ci s'inscrit dans la continuité évidente du classique de "Métamorphose". On peut dire que les choses commencent sous des auspices favorables tant ce titre est excellent, vigoureux, accrocheur. Quoi de mieux aussi que d'user d'un thème mythologique pour faire le lien avec le passé ? N'allez cependant pas croire que cette ouverture n'est là que pour séduire les plus anciens fans, car le riff d'intro et la puissance générale qui s'en dégage témoignent d'un groupe qui veut s'inscrire dans son temps.

En effet, ils nous l'avaient déjà annoncé avec "Phoenix" : le SORTILÈGE du XXIème siècle se veut "moderne", puissant, actuel. Le son est donc massif, la section rythmique fracasse et forme avec les guitares un mur solidement épais. Une véritable forteresse. Le groupe va donc encore plus loin que sur "Phoenix". Trop ? À vous de voir où se situe votre limite.

Sur le fond, SORTILÈGE conserve toujours la même approche dans l'écriture et la cohérence de son oeuvre. Les albums du groupe n'ont jamais été monolithiques, uniformes. Ils ont toujours exploré plusieurs directions musicales. Olivier Spitzer, le principal compositeur de la musique, a ainsi abattu un travail considérable pour perpétuer cet état d'esprit ambitieux et éclectique. "Apocalypso" propose ainsi des titres très directs et implacables ("Poséidon", le tout aussi excellent "Trahison" où l'on sent que Zouille règle ses comptes), des titres où l'ont peut sentir une influence Power Metal et guerrière ("Walkyrie", "Vampire", "Le Sacre Du Sorcier"), et des pièces épiques ("Derrière Les Portes De Babylone", le très Doom "Apocalypso").
Incontestablement, ce seront surtout "Attila" et "La Parade Des Centaures" qui surprendront le plus : qui aurait un jour pensé entendre du Groove Metal chez SORTILÈGE ? Pas moi, pourtant c'est bel et bien le cas. Deux titres qui permettent d'ailleurs d'entendre Stéphane Buriez de LOUDBLAST performer, lui qui est un fan de la première heure. Pas sur cependant que "La Parade Des Centaures" fasse l'unanimité, mais l'effort a le mérite d'être plutôt osé.
Stéphane Buriez n'est pas le seul invité, puisque trois membres de MYRATH (Zaher Zorgati, Malek Ben Arbia et Kevin Codfert) apportent une contribution importante à l'oriental "Derrière Les Portes De Babylone" (dont le riff peut rappeler un peu celui de "Perfect Strangers" de DEEP PURPLE), ce qui rehausse l'intérêt de ce mastodonte qui s'inscrit dans la lignée de "Marchand D'Hommes". Les synthétiseurs de Kevin Codfert agrémentent aussi le morceau-titre.

Cependant voilà, cette notion de "modernité" dont se revendique le groupe n'est que sa propre interprétation de ce qui est "moderne". Car le Metal dit "moderne" ça a largement plus de vingt ans et donc ça ne veut plus dire grand chose, surtout à une époque où la loudness war a fait son temps et où justement de nombreux groupes de Heavy tendent à revenir vers des prod' moins massives et à remettre pas mal de reverb sur les voix. On savait que SORTILÈGE ne choisirait pas cette tendance mais de là à aller aussi loin dans la direction opposée il y a peut-être le risque de perdre quelques vieux fans (pour en regagner plus ?). La forteresse instrumentale s'avère tellement imposante que parfois Zouille semble presque à la lutte, pourtant sa performance est irréprochable, sa voix (souvent doublée) survole toujours les compositions, tel l'archange de la pochette qui lui ressemble quand il était plus jeune, mais le mix de "Phoenix" était préférable, ici la batterie est trop mise en avant.

Il n'en reste pas moins que l'essence du groupe, ce Heavy bariolé, mélodique et lyrique, est bien là et que SORTILÈGE se veut aussi rassurant en proposant quelques passages qui font écho à ses oeuvres passées : "Poséidon", mais aussi le très réussi "Le Sacre Du Sorcier" et sa partie solo de guitare qui rappelle le moment de bravoure de "Majesté", "Walkyrie" dont les lignes de chant ont clairement un air de déjà-entendu ou encore le morceau titre, lourd et inquiétant, qui peut être un équivalent à "Hymne À La Mort". On a même droit aussi à une power ballade avec "Encore Un Jour" et son texte plus intime et sensible, hélas, il s'agit du titre le moins convaincant de l'album, son émotivité étant desservie par la prod' et ses arpèges ne rentreront pas dans les annales des plus belles ballades du Hard Rock. Les nombreuses interventions lead de Bruno Ramos montrent toujours sa compréhension de l'approche musicale de Stéphane Dumont, dont il perpétue l'héritage avec brio, mais ses solos ne s'avèreront tout de même pas aussi mémorables. D'ailleurs, si l'album n'est pas avare en refrain accrocheurs et mélodiques, parsemés par des screamings toujours impressionnants de Zouille, il manque un peu de la folie et de l'imprévisibilité qui animaient les compositions d'antan. Tout ici apparait plus calibré, moins propice aux ruptures de tons.

Il aurait été illusoire de retrouver dans "Apocalypso" toute la magie d'un "Métamorphose" ou du chef d'oeuvre ultime et indépassable qu'est "Larmes De Héros". On parle ici d'albums d'une autre époque, pas prêts d'être égalés par qui que ce soit. Néanmoins, et ce malgré les réserves mentionnées plus haut, "Apocalypso" est un très bon album, inspiré, varié, superbement interprété. Il ne ternira pas la légende et c'est bien ça l'essentiel.