Repus de sa… hum… partie d’échecs avec les sœurs succubes, le Grand Maître du Metal pouvait à présent se prélasser au fond de son trône, ourdissant ses prochains méfaits. Après avoir contemplé les nombreuses options qui s’offraient à lui, le choix lui apparut comme évident. La nouvelle génération de chroniqueurs, si prolifique soit elle, méritait à présent son attention. Alors qu’il étudiait la longue liste de châtiments potentiels à infliger aux jeunes pousses, une corneille de jais vint fracasser les vitraux de la pièce et explosa en mille morceaux à ses pieds. Dans ce qui restait de son bec, non pas un fromage mais le message d’un lecteur assidu, écrit dans une langue antique : «klatu akta porwa KILLER BE KILLED obscentitus dessa NIME ?». Les choses s’éclaircirent instantanément dans son esprit torturé.

Vêtu de sa longue tunique pourpre, il se leva, ouvrir prestement la porte et hâla le Gobelin en Chef, qui roupillait à même le sol du corridor menant à la vaste chambre voûtée, au centre d’un pentacle de fortune tracé à la hâte avec le sang d’une grenouille. De sa voix profonde et (forcément) ténébreuse, il donna ses consignes à son souffre-douleur favori, qui partit en claudiquant rejoindre l’escalier principal du donjon, tandis que les lapins de Zootamauxime s’affairaient un peu plus loin au brassage de l’orge.

La mission était d’importance, et Nostrum, le Gobelin en Chef, n’avait pas de temps à perdre s’il voulait voir sa mission accomplie. Régulièrement inondé de requêtes plus ou moins déroutantes, la Boite à Demandes croupissait en effet dans son jus depuis plusieurs mois, et le Grand Maître avait donc décidé de missionner ses fidèles troupes, mais également de tester la résilience et la pertinence de ses jeunes recrues. Sur ce coup-là, c’est Kol qui allait prendre dans sa gueule. Et le défi serait de taille.

S’enfonçant dans les entrailles putrides des catacombes du temple, passant devant les chambres des chroniqueurs confirmés, plus spacieuses et moins sommaires – ils l’avaient bien mérité après tout – Nostrum finit par arriver à la cellule située au fond du couloir humide où Kol végétait depuis des mois en compagnie de John Duff, Stephen Page et Myles et lui jeta le message à travers les barreaux. Fichtre, il allait lui falloir se coltiner le super-band KILLER BE KILLED, dont le line-up à lui-seul colle une légère pression : Max Cavalera (SEPULTURA, SOULFLY, CAVALERA CONSPIRACY), Greg Puciato (The DILLINGER ESCAPE PLAN), Troy Sanders (MASTODON) et Ben Koller (CONVERGE) qui remplace pour l’occasion Dave Elitch (The MARS VOLTA), rien que ça. La probabilité de le voir se faire lapider dans la crypte par les adeptes de l’un des groupes suscités était proche de 100%, surtout s’il en venait à démolir ce second LP de la formation. D’autant plus qu’il lui fallait passer après Mefisto, l’un des chouchous du Grand Maître, actuellement en congés sataniques.

Kol s’empressa de démarrer sa bafouille :
« L’opus se veut un mélange des styles des principaux protagonistes, mais il bascule plus clairement du côté des Géorgiens de MASTODON (l’état américain, pas le pays si besoin de préciser), avec quelques touches thrashisantes, toutefois moins marquées que sur le premier essai de KILLER BE KILLED qui penchait alors bien plus vers ce style. Une grande majorité des titres correspondrait ainsi à une version plus directe, moins alambiquée et progressive des auteurs du superbe "Hushed And Grim", qui avait enchanté l’ensemble de la rédaction. L’excellent "Dream Gone Bad" n’aurait en effet pas fait tache parmi la collection de perles que contient ce disque. D’ailleurs, même s’il est parfois difficile de distinguer les trois chanteurs qui officient sur "Reluctant Heroes", la voix de Troy Sanders ressort malgré tout comme dominante et renforce indubitablement cette impression. Les aspects Thrash et Core sont fondamentalement bien plus discrets, même s’ils ressortent par petites touches, comme sur le très Punk "Filthy Vagabond" aux saveurs d’un MOTÖRHEAD s’autorisant quelques digressions ou sur l’enchaînement "Animus" / "Dead Limbs", qui pour le coup marie les trois genres avec réussite (oui, j’associe une étiquette similaire au duo Koller/Puciato) pour peu que l’on accepte de se faire balader et maltraiter.

La musique proposée par le combo est indubitablement puissante et d’excellente qualité, tout comme la production pachydermique assurée par Josh Wilbur (GOJIRA, LAMB OF GOD), véritablement au-delà de tout soupçon. Rien à redire là-dessus, même si l’opener "Deconstructing Self-Destruction", tout réussi soit-il, pue par certains aspects le GOJIRA à plein nez. Mais le sentiment qui prédomine à l’écoute de l’album dans son intégralité est d’avoir affaire à un best-of d’un groupe ayant connu des évolutions majeures, tant dans son line-up que dans les genres pratiqués. Un peu comme si METALLICA sortait une compilation balayant aussi bien la période "Kill ’Em All" que "Load" ou "St Anger". Et je ne suis pas un grand fan de ce type d’exercice, manquant souvent quelque peu de cohérence, même si je caricature ici un chouïa la chose concernant KILLER BE KILLED.

Prises une par une, chaque piste est aboutie et procure son quota de frissons, mais l’assemblage ne fonctionne pas totalement, faute de réel parti-pris. Par goût personnel sans doute, j’avoue préférer les morceaux "MASTODONesques", légèrement relevés par les influences du reste de la bande. Ce sont ceux qui ressortent le plus du lot, puisqu’il s’agit davantage d’un patchwork réussi que d’une œuvre à part entière possédant une identité bien définie. "Reluctant Hero" n’en reste pas moins un album savoureux, composé de pistes individuellement irréprochables. »

Nostrum saisit le parchemin moisi tendu d’une main fébrile et repris le chemin inverse, navigant entre les relents fétides de la geôle des 'newbies' et les beuglements avinés de chansons franchouillardes émanant du cachot de T-Ray. Arrivé sur le pas de porte du Grand Maître, il patienta quelques minutes, celui-ci ayant visiblement décidé de reprendre sa « partie d’échecs » avec Hellaynnea et ses comparses. Voyant que celle-ci semblait vouée à se prolonger, il glissa les écrits sous la dalle et s’assoupit.

Un hurlement à glacer le sang d’un reptile le fit sursauter. Le boss avait donc pris connaissance du torchon de Kol, et visiblement ce n’est pas sur ce coup-là qu’il sortirait du dortoir des rookies. Nostrum esquissa un vague ricanement, puis repartit houspiller les tilapins avant de déguster une bonne pinte de leur cuvée spéciale Noël.

Note réelle : 3,5/5.

Un grand merci à Haplo pour m’avoir prêté le temps d’une chronique son univers dérangé.