"On n'est jamais mieux servi que par soi-même", prétend l'adage. Et comme l'art est l'un des rarissimes domaines où l'être humain est libre (quoique), lorsque l'on n'est pas satisfait de la tournure d'une collaboration au sein d'un groupe, d'un collectif ou d'un orchestre, autant saisir l'opportunité d'aller faire son truc dans son coin. Soit de façon permanente, soit de façon temporaire. La notion de side project - aussi critiquable soit-elle pour les fans absolus des groupes concernés par la fuite d'un de leurs membres, souvent vue comme une trahison - peut être éminemment salvatrice pour le musicien concerné. Dans le cas de KVAEN, cela semble même évident.

Heureusement pour lui, Jacob Björnfot n'a jamais été un membre-clef de The DUSKFALL. Il n'a même pas enregistré d'album en son sein, donc peu de fans du combo suédois pouvaient voir une trahison dans son départ du groupe, à peu près en même temps que la création de KVAEN. Mais pour le multi-instrumentiste, se retrouver de nouveau les mains libres semble lui avoir donné des ailes. Et une petite notoriété car, de quasi anonyme, le bonhomme s'est fait un nom dans le cercle des amateurs de Black Mélodique et de Viking Metal, dès la sortie du premier album ici chroniqué, "The Funeral Pyre". Car l'ouvrage s'est fait remarquer d'à peu près tous les webzines s'intéressant au(x) genre(s).

Déjà sur le coup à sa sortie, en février 2020, j'ai finalement loupé le coche mais maintenant qu'un deuxième album est sorti, le temps est venu de me rattraper et d'à mon tour passer la brosse à reluire à l'ami Jacob. Car son premier essai n'est pas un coup de maître, n'exagérons rien, mais un coup de canon dans le ciel du nord, celui qui vit l'émergence de "l'Âge Des Vikings", comme l'entend l'historiographie contemporaine. En effet, "The Funeral Pyre" résonne de plus d'un hommage aux fameux guerriers explorateurs et à leur civilisation. Nombreux sont les morceaux, sur cette galette, à exalter les héros de cette fameuse ère. Et les héros de ce que l'on appelle aujourd'hui, à tort ou à raison, le Viking Metal, et ce, jusqu'à Quorthon lui-même.

Oui, malgré la prédominance du Black Mélodique dans la musique de KVAEN, le côté Speed vindicatif qui caractérisait la musique de BATHORY dans la première moitié des années 1980 s'y fait une place. Une époque où la fibre Viking du précurseur du Black Metal n'était pas encore aussi visible, ni aussi audible dans sa musique, mais qui a inspiré des milliers de groupes à sa suite. KVAEN n'est que l'un des derniers sur cette liste, mais "As We Serve The Masters Plan", d'abord vif puis Heavy à souhait, au texte également plus fidèle au BATHORY des débuts, contient dans son riffing et son chant pas mal d'éléments qui faisaient le caractère des premiers disques de Quorthon. À cette différence près que Jacob Björnfot, également producteur de ce premier longue-durée, l'a affublé d'un son certes râpeux mais moderne.

Pas question d'approche Old School avec KVAEN, quels que soient les hommages aux époques et artistes passés. À part une dose de reverb évidente, la puissance et l'épaisseur du son sur "The Funeral Pyre" permettent d'éviter à Jacob Björnfot de passer pour un passéiste peu inspiré. D'autant que la cuisine qu'il nous sert, bien qu'elle s'inspire d'autres grands artistes de Metal Extrême scandinaves, reste personnelle. Bien entendu, impossible de ne pas mentionner à quel point DISSECTION a pu influencer le multi-instrumentiste, tant ceci est flagrant dans les riffs de "Yee Naaldlooshii", du morceau-titre ou de "Bestial Winter". Il y a également quelque chose de NECROPHOBIC chez KVAEN, avec cet aspect un peu plus calibré, côté son et côté compo, que ne l'était DISSECTION lui-même. Ce n'est pas pour rien que Sebastian Ramstedt, gratteux de NECROPHOBIC, est invité à tricoter sur la troisième piste.

De par son caractère mélodique et son souffle, le tremolo picking de Jacob Björnfot rappelle également celui de WINDIR par moments (mais pas sur "Bestial Winter", arf arf). Encore plus lorsqu'il convoque ses inspirations les plus Viking dans ses textes et qu'il les enrobe dans de soudaines accalmies riches en atmosphères dramatiques et épiques, en particulier sur le morceau "The Funeral Pyre". Tant qu'à parler d'épique (et moins de WINDIR), KVAEN montre qu'il s'y connaît aussi dans le domaine avec un "The Wolves Throne" qu'il faut plusieurs écoutes à assimiler, mais qui déverse toute sa charge dramatique au fil des écoutes. Sa capacité à alourdir sa musique de Heavy Metal - et à délivrer des soli de guitare dans le même matériau - sert d'ailleurs particulièrement ce caractère épique.

Le côté Heavy de KVAEN se dévoile dès l'explosif "Revenge By Fire", aux riffs (au pluriel !) accrocheurs en diable mais hélas trop long pour son propre bien, presque condamné au titre de moins bonne compo de l'album par sa tendance à se répéter. Dommage car KVAEN prend le risque de lasser d'entrée de jeu avec ce titre. Mais il se ressaisit bien vite après. S'il faut citer un morceau qui intègre encore mieux, et plus efficacement, le Heavy Metal dans la musique de KVAEN, alors mentionnons l'excellent "Septem Peccata Mortalia" aux accents parfois CHILDREN OF BODOMiens, période "Hatebreeder"/"Follow The Reaper" avec ce côté sautillant et des claviers plus présents, mais sans l'aspect néoclassique bien sûr. Accompagné au micro par un Pierre Törnkvist (HELLTRAIN) au timbre plus proche d'Alexi Laiho, KVAEN est sûr de séduire les fans du combo finlandais avec ce titre.

Franchement, à part l'entame à double tranchant que constitue "Revenge By Fire" et l'instrumental ouvertement répétitif que constitue "Hymn To Kvaenland" - où brille toutefois la guitare lead de l'invité Matt Wicklund (de GHOST SHIP OCTAVIUS) - KVAEN ne commet pas vraiment de faute de goût ni de composition sur ce longue-durée initial. L'ouvrage a tout pour séduire aussi bien l'amateur de Black Mélodique et de Viking Metal non Folk que le fan de Heavy Metal qui ne rechigne pas aux sonorités extrêmes. En d'autres termes : KVAEN ratisse large sans pour autant racoler à tous les coins de rue, et s'assure avec "The Funeral Pyre" d'intéresser un nombre croissant d'auditeurs dès son œuvre suivante. Bref, si c'était pour proposer un premier album studio de cette trempe, Jacob Björnfot a bien fait de se casser de The DUSKFALL. Personne, pas même ses anciens camarades de jeu, ne lui en voudront.