En matière de Hard Rock, on parle beaucoup de la "classe" de ces artistes qui, l’âge venu, séduisent par un embourgeoisement certain, que l’on assimile souvent à de la prestance et de la dignité. Cette classe repose souvent sur une volonté de proposer une musique se rapprochant le plus possible de la pureté originelle (on reste néanmoins bien loin du Blues du champ de coton), dénuée de ses souillures commerciales, et portée sur album par des mecs au look travaillé (une chemise ouverte, une canne donnant un supplément de flegme britannique), et dont le surplus de testostérone se retrouve dans un Hard Rock auquel on attribue souvent l’adjectif de musclé. Jetez donc un œil du côté de David Coverdale et Glenn Hughes pour voir à quoi ressemble ces sugar-daddys dont la fin de carrière repose essentiellement sur ce gimmick. Se présentant comme "bohémiens" du Rock, habités par leur art et ne se sentant à leur place que sur les routes (mais si, réfléchissez au nombre de morceaux contenant le terme "gypsy" que vous connaissez), ces artistes le clament haut et fort : ils vivent par et pour le Blues.

Loin des influences de son groupe principal PRIMAL FEAR, le guitariste Alex Beyrodt poursuit lui aussi cette mouvance Hard Rock "classe" avec son side-project VOODOO CIRCLE, qui connaît tout de même une belle carrière avec douze années d’existence au compteur. Groupe "pour le fun" étant donné les activités annexes des membres qui le composent, peu visible sur scène (dans le monde d’avant), la formation germanique a livré, au fil des ans quelques belles réalisations, auxquelles "Locked & Loaded" prétend succéder avec la même réussite. Il faut dire qu’Alex Beyrodt met toutes les chances de son côté en revenant au line-up de ses deuxième et troisième albums. Outre le fidèle Mat Sinner à la basse et la production, nous retrouvons donc le chanteur David Readman, qui avait brièvement laissé sa place à Herbie Langhans, ainsi que le batteur Markus Kullman. À noter, tout de même, la présence aux claviers de Corvin Bahn (Uli Jon ROTH, MOB RULES, GAMMA RAY…) qui conserve son poste occupé depuis 2018, même si le travail de cet instrument se fait ici plus que discret.

Tout va pour le mieux donc, VOODOO CIRCLE nous proposant un album dans la droite lignée de "Broken Heart Syndrome" ? Pas vraiment, à notre grand regret. Ce sixième album de la bande à Beyrodt sonne surtout et avant tout comme un mélange poussiéreux entre le Hard Rock "chemise ouverte" de WHITESNAKE et celui plus débridé (mais ici plutôt éteint) de LED ZEPPELIN, ce bon Alex se vantant même de la ressemblance physique entre son batteur Markus Kullman et John Bonham ("On dirait la réincarnation de Bonzo", se gausse-t-il). On se retrouve ainsi avec des titres tels que "Wasting Time" - vous y trouverez la fumeuse référence au musicien-gitan -, "Magic Woman Chile" et "Devil With An Angel Smile" qui sonnent en effet comme sonnerait peut-être LED ZEP aujourd’hui : un peu mollasson, fatigué, tentant en vain de transformer son énergie érotique en cette fameuse "classe" qu’on attribue aux rockers lorsqu’ils ont l’âge de prendre du viagra.
En contrepartie, sur "Eyes Full Of Tears" et "Flesh And Bone", VOODOO CIRCLE clone plus que jamais WHITESNAKE, se faisant tour à tour énergique ou langoureux, mais peinant à proposer autre chose qu’une copie de qualité. Si la profondeur de la voix de David Readman fait des merveilles, et est en effet plus adaptée au style pratiqué que celle de Herbie Langhans, les mélodies sentent trop le réchauffé pour générer autre chose qu’une indifférence polie. Si quelques titres témoignent d’une personnalité plus affirmée, à l’image de l’entraînant "Straight For The Heart" et son riff plutôt bien construit, c’est bien le morceau-titre "Locked & Loaded" qui se fait le plus réussi, parvenant avec brio à mêler tradition et modernité, fusionnant un beau riff plombé, des claviers cette fois affirmés, un couplet aux sonorités contemporaines et un solo fuzzy que n’aurait pas renié Hendrix.

Jacob Hansen, sorcier du son pour POWERWOLF, U.D.O. ou PYRAMAZE, se charge avec brio du mixage et parvient à mettre en valeur ce Hard Rock qui a le Blues. Car tout autant qu’Alex Beyrodt et ses comparses dégagent une évidente sympathie, il est difficile de s’emmouracher de ce "Locked & Loaded" dont la qualité tout juste acceptable des compositions ne masque pas suffisamment les dignes mais cruelles influences dont le groupe se réclame. Avoir la classe, c’est bien, mais dans notre cas précis il est dommage que cela empêche le groupe d’aller au charbon…