Les quatre ou cinq années précédant directement le passage au XXIème siècle étaient, tous genres de Metal confondus, le moment du retour en force de la mélodie. C'est l'ère du Spimélo triomphant, du Power sous toutes ses formes, l'heure de l'explosion du Melodeath de Göteborg AOP... Peut-être s'agissait-il d'une réaction aux autres tendances Metal du moment, plus tournées vers les rythmiques lourdes, grasses et les guitares downtuned, en particulier dans le Neo et dans le Groove Metal ? Toujours est-il que même le Black Metal n'échappa pas à ce retour en force de la mélodie sur le devant de la scène. La scène suédoise, en particulier, fut l’un des principaux moteurs de ce phénomène et des groupes comme DISSECTION et SACRAMENTUM n'y sont certainement pas pour rien.

Pourtant, ce n'est pas de Suède mais d'un peu plus au sud, des Pays-Bas, qu'est venu l'un des meilleurs premiers albums que le Black Épico-mélodique ait connu, en l'occurrence "Onwards To The Spectral Defile" de CIRITH GORGOR. La formation néerlandaise, issue d'un pays où le genre avait moins droit de cité que le Death Metal, le Metal Symphonique ou le Metal Atmosphérique, faisait donc d'emblée partie des leaders de la scène Black locale. Et après un changement de nom et deux démos solides, déboulait en 1999 avec la petite bombe à fragmentation chroniquée ici même. Parce que, oui, c'est un peu cela, "Onwards To The Spectral Defile" : un shrapnel de Metal Noir bourré de micro-projectiles acérés qui trouvent rapidement leur voie au plus profond du crâne des amateurs du genre, quoi que fusse leur chemin en terre Metal pour arriver jusque là.

En effet, CIRITH GORGOR, dès ce premier opus studio, se paye le luxe d'être capable de plaire autant aux Metalleux venus du Heavy et du Power que du Death Mélodique, par exemple, eu égard au taux élevé de mélodies dans son Black Metal… Le tout en n'oubliant jamais d'être brutal comme il se doit, en témoigne "The Declaration Of Our Neverending War", qui ouvre l'album en furie et dévoile, dans ses paroles, quelque fantasme de conflit armé entre guerriers du paganisme nordique et soldats du Croissant. D'ailleurs, l'aspect épique du Black Metal des Limbourgeois saute rapidement aux oreilles et ceux qui sont en mal d'épopées peuvent sans délai s'en remettre à CIRITH GORGOR et à son premier opus : ils seront servis.

Éminemment épique et mélodique, oui : tel est "Onwards To The Spectral Defile". Pas un seul morceau sur les 42 minutes de musique que contient le disque - à part peut-être le superbe instrumental au piano qui le conclut, "Thorns Of Oblivion" - ne compte moins de trois riffs prenants, Et c'est un minimum ! Prenez "Ephel Duath (A Warrior's Tale)", morceau inspiré, comme d'autres et comme le nom même du groupe, par l'œuvre de Tolkien et considérez qu'en à peine 3 minutes et 41 secondes, CIRITH GORGOR nous assène non pas un, ni deux, ni trois, ni même quatre, mais bien cinq riffs mémorables ! Certains ne sont qu'une variation d'un autre, certes, mais ils n'en sont pas moins diablement accrocheurs et le morceau s'achève couronné d'une partie lead finale dantesque.

Car l'on parle des riffs mais l'on pourrait évoquer les soli de guitare - instrument assurément le plus audible dans le mix de l'album et à juste titre - qui permettent de plonger encore davantage dans les différents titres et ambiances du disque, comme sur le très Heavy "Sons Of The New Dawn". Le lead qui lance l'excellent "Winter Embraces Lands Beyond" et celui qui précède la dernière saillie vocale de Nimroth sur "Through Burning Wastelands" sont, eux, à même d'avoir marqué l'inconscient de combos de Black Metal Épique toutes origines confondues. Et jusqu'en France, ou un groupe comme VÉHÉMENCE reprend aujourd'hui le même genre de recette, même si le trio angevin pratique une version encore plus épique et revendique surtout pour référence les premiers DISSECTION et WINDIR.

"Onwards To The Spectral Defile" est ainsi, comme le suggère son titre, une aventure jusqu'au plus profond des terres sombres, désolées et hantées du Mordor et d'autres lieux imaginaires fantastiques ou mythologiques et certains titres renferment, à eux seuls, l'essence de l'album tout entier, tel le diptyque "A Hymn To The Children Of Heimdall / Darkness Returns", à la fois violent, dramatique et mélodique à souhait. Le premier opus studio de CIRITH GORGOR fait d'ailleurs partie de ce que l'on pouvait trouver de mieux en matière de Black Metal Épique et héroïque avant les années 2000. Même si, vingt ans après sa parution, nombre de combos ont fait plus épique, plus mélodique et plus dramatique encore, en 1999, ce disque faisait référence. Et il fait bon le redécouvrir.