Dans les couches les plus profondes du sombre lac sans fond de l’underground, niché au creux de sa vallée ombrageuse, voilà un poisson particulièrement recherché - aux écailles noires toutes luisantes, aux muscles qui s’agitent puissamment, aux nageoires tranchantes comme des rasoirs et à la chair raffinée. Le pedigree de la bête : américaine, a été observée dans les années 80. Ordre, sous-ordre, clade, espèce ? Ce genre de cryptoïde ne peut être associé qu’aux créatures les plus farouches auxquelles on attribue les agressions soniques des vingt années qui ont mené jusque-là. Tel ce poisson visqueux sorti des entrailles des fjords du true Hard, MEDIEVAL se veut insaisissable, et vous balance de méchants coups de queue dans la gueule si vous approchez trop près pour zieuter la cause de ce bordel. Sorti chez le petit label foireux New Renaissance qui n’a sorti que des seconds couteaux du Thrash, la sortie de cet album pourtant très anticipé a fait un flop complet suite au blocage des disques chez son distributeur qui a fait faillite précisément à ce moment-là, et c’est logiquement que des labels comme High Roller records et Buried By Time And Dust se sont chargés de ressortir ce matériel pour les hardos du futur.

Entre garage insalubre et cachot dégoulinant, le son et l’identité de MEDIEVAL sont embrouillés : qu’il s’agisse d’une horde méchante certes on s’en accorde, aussi pleine de fougue et d’énergie que ses instruments sont prêts à balancer leur disto néfaste ; mais la musique est un Rock’N’Roll si primitif que tout visuel que le groupe voudra se coller au cul ne sera, encore plus qu’ailleurs, qu’image. Nimber d’un surcroît de mystère et d’aura evil cette musique c’est un peu la cerise sur le gâteau mais, lors de sa carrière, MEDIEVAL en bon power-trio déchaîné, structuré autour de deux brothers of steel (littéralement, sauf pour la partie of steel) et d’un bassiste fidèle, s’enorgueillissait de cette absence d’imagerie particulière, et l’on comprend rétrospectivement qu’ils avaient raison : cet album a vocation à être découvert sur une cassette sans couverture ni titre, abandonnée sous le lavabo d’un bar crasseux, on appuie sur play et El Famoso HARDDEMON est libéré. De fait, le groupe s’est vu apposé l’étiquette infâmante de “groupe sans image“ ; pour autant, MEDIEVAL n’en aura été que plus amusé, et ça ne l’a pas empêché de conquérir un certain nombre de fans et de voir ses démos être frénétiquement copiées par un underground avide. MEDIEVAL, ou le “be yourself qui paye“, quitte à poser ses couilles en mode seul contre tous : notamment, le groupe s’est fait sortir de scène par un public new-yorkais méprisant et peu habitué aux groupes non costumés, et qui de surcroît n’arbore même pas les cheveux longs ! Pour ma part leur dégaine me fait penser à un mélange entre TANK et des greasers dégénérés du Midwest, c'est les hommes de la situation quoi.

Cette pochette mystérieuse et anachronique, entre le Black Metal blafard et une esthétique Heavy rétro à la WITCHFINDER GENERAL, cache ce qu’on appellera un Power Metal épuré quoique passablement aventureux voire foutrement épique au travers de ses instrumentaux ambitieux ("BFH" est d’une epicness géniale). Mais MEDIEVAL c’est surtout une énergie peu contenue qui se fait fort de convoquer tout ce qu’il y avait de plus pertinent à l’époque pour un faire une sauce massive et vicelarde : MOTÖRHEAD et BLACK SABBATH transcendent le tout et se disputent la suprématie sur l’essentiel de l’album, c’est vous dire à quel point c’est basique pour 1987 ! Le groupe reprend du VARDIS sur l’une de ses démos, je pense que c’est encore plus parlant en termes de Rock obsolète mais qui a une surcapacité à cracher les décibels - en langage de jeunes : solide ! Le liant c’est évidemment une touche Punk très dure et une ambiance glauque qui renvoient à CARNIVORE (et puis ce titre "World War IV"), et en chanteur qui connaît deux modes seulement : grogner et glapir, à vous donner la chair de poule parfois. Le groupe a été qualifié par ses contemporains de Sludge Metal, un anachronisme parfait et qui me fait penser que j’aurais été bien content si ce terme définissait aujourd’hui encore le style adopté par MEDIEVAL plutôt que l’usage qui s’est imposé.

À part ça, ce ne sont que titres tonitruants pleins d’esbroufe et de rugosité, où les ambiances oppressantes et lentes alternent avec des titres qui assènent exclusivement des riffs plus fluides et dantesques. Les musiciens font preuve d’une créativité sans borne et d’un style qu’on pourrait parfois qualifier de presque ironique, décalé, des mélodies narquoises ou trop joviales qui semblent obscènes compte tenu de leur style dont l’aspect immédiat est morbide et bruitiste… Effet garanti notamment sur les instrus pleins de rebondissements et d’une sorte de bon esprit, le groupe cultivant sa spontanéité plus que toute autre chose. Aucun morceau ne se distingue vraiment, tous regorgent d’idées et d’énergie, le seul titre à signaler en priorité est pour moi "Blood And Anger" - faut entendre le groupe faire monter la tension avec une ambiance presque intimiste au début, à coups de vocaux chuchotés qui voient progressivement le brailleur s’égosiller comme pas possible, meilleur exemple de la frénésie Punk qui possède le groupe à tout instant : I’m gonna take my hate out on youuu, I’m gonna push it push it, push it, right through you! C’est un maniaque je vous dis !

MEDIEVAL c’est un quelque sorte des mecs qui plantent leur hache de guerre devant et proclament qu’à partir de ce jour le Rock’N’roll stoppe net sur ses pas, n’a plus le droit d’évoluer de quelque façon que ce soit puisque tous les ingrédients déjà en circulation suffisent, dans une attitude totalement "fuck off" qui affirme que tout ce qui n’est pas fureur est accessoire. Hors des modes, MEDIEVAL fait du ~~ Heavy ~~ sale et méchant, intemporel !