À la sortie de l’été 2018 une de mes connaissance me tint à peu près ce langage : "y a un nouvel album de MGŁA qui va sortir, on peut même déjà y voir la pochette sur le net".
Un tour rapide sur la page Facebook des Polonais et me voici devant une annonce du groupe en forme de démenti face à ce qui sembla être une rumeur devenue virale: oui, ils ont bien pondu un nouvel album, mais de KRIEGSMASCHINE, pas de MGŁA.
Je n’ose imaginer leur étonnement... Devoir en arriver à publier un démenti alors que bon, c’est quand même assez clair, il y a écrit KRIEGSMASCHINE sur ladite pochette.

Je trouve que cette petite anecdote illustre parfaitement la différence de statut et de renommée entre les deux entités musicales.

KRIEGSMASCHINE c’est l’autre groupe des gars de MGŁA, une autre face, peut-être encore plus sombre et désespérée. Là où MGŁA tente de nous emporter émotionnellement sur les ailes épiques de la rage face à l’absurde, KRIEGSMASCHINE serpente dans un nihilisme définitif et asphyxiant qui ne cesse de nous prendre à contre-pied.
Musicalement ça se traduit par une agglutination dans des tempi moyens, un enfoncement chthonien dans le tribalisme hypnotisant, un spectre sonore lourd et tonitruant, grave et brûlant, et surtout un mépris pour tout ce qui pourrait accrocher l’oreille (refrain, mélodie, poussée entraînante, etc.).
La section rythmique est énorme, la basse laboure tout le terrain tandis que les guitares tissent des pièges mentaux à bases d’arpèges dissonants.
Les ingrédients du MGŁA qu’on aime tant sont là, on sent bien une certaines patte dans les riffs, comme d’hab' la production y est exemplaire, et le délicieux chant de M. est à l’identique, râpe glaireuse bien articulée.

En tout cas c’est comme ça depuis "Enemy Of Man" (sorti en 2014) car KRIEGSMASCHINE a connu une longue évolution depuis sa naissance en 2002, en partant d’un pur Black Metal fort intense cristallisé sur "Altered State Of Divinity", son premier album datant de 2005.
Gageons que l’excellent EP "Transfiguration" paru en 2010 constitua une étape importante dans l’évolution vers la forme actuelle des deux entités. Ces deux titres constituaient d’ailleurs un intéressant bourgeon d’où émergerait une face plus lente, pesante et déconstruite, précisément à rebours de l’autre (MGŁA) en plein essor. C’est aussi à ce moment que les vocaux de M. prirent l’aspect qu’on leur connaît.

Après l’immense succès du magnifique "Excercices In Futility" et les innombrables tournées encapuchonnées, M. et Darkside laissent donc reposer intelligemment un bébé désormais bien trop attendu au tournant en dégainant une nouvelle création de l’entité KRIEGSMASCHINE, une entité libérée de toute contrainte, surtout celle de plaire, et le duo se fait un malin plaisir à ne pas satisfaire nos attentes.

La première des qualités de "Apocalyticists" s’est sa production. Fort de son expérience, M., à qui l’on doit quelques belles réussites sonores (l’infâme CULTES DES GHOULES, en particulier), fabrique une texture sonore où subtilité et puissance sont permises. La batterie sonne de façon naturelle, le jeu tribal et tellurique de Darkside est parfaitement restitué. Les couches de guitares s’entrecroisent, entre stimulation irritante et torpeur hypnotique. Par rapport à "Enemy Of Man" (2014) elles regagnent en abrasivité ce qu’elles perdent en lourdeur suintante.

Dans le prolongement du précédent ce nouvel album peut être vu comme une version plus étouffante et incarnée de MGŁA mais surtout plus repoussante et indigeste. Un MGŁA qui plafonne et qui ne décolle jamais, et qui veut surtout bien vous écraser la tronche dans l’épaisse boue du désespoir infini.

Six longs morceaux (entre sept et onze minutes) qui n’ont pas peur de la répétition et où les moments excitants sont rares. Citons-en quelques-uns.
Il y a cette légère accélération du tempo sur "The Other Death", martelé avec constance tandis que la basse claque et les guitares dissonent. Il y a cette cohabitation entre les percussions complexes et les cisaillements de tremolo surgissant de l’ébullition guitaristique ("Residual Blight"). Il y a la lourdeur sinistre très Dark Metal que vient rejoindre le bourdon nasillard ("On The Essence Of Transformation") ou une puissance ritualiste prenante ("Apocalyticists").
Il y a surtout un étouffement pas toujours agréable, une usure de l’attention sur la longueur, un reflux gastrique par ingestion excessive de terre glaise grisâtre et amère. Franchement un peu plus de variété dans les tempi aurait été bienvenue.

L’écoute globale reste agréable grâce à cette production idéale et aux vocaux graves, râpeux et bien compréhensible pour que les paroles sans espoir nous tombent bien dans l’oreille et collent à l’âme.
La démarche est louable, l’originalité est évidente pour ce Black très Dark où l’étrange partition des percussions, tribale et déconstruite, est une attraction en soi. On se laisse volontiers porter par ces longs flux tortueux, dépressifs, hypnotiques et progressifs.
Mais l’ennui et l’overdose sont toujours à la porte, d’autant plus que "Apocalyticists" s’est dépouillé de la fièvre et de la puissante pulsation qui me plaisaient tant sur "Enemy Of Man". Le monolithe est cette fois un peu trop dur à avaler.
Ainsi délégué à l’anti-accroche KRIEGSMASCHINE se voit confirmé dans son statut de version repoussoir d’un MGŁA à la conquête du monde. C’est à la fois libérateur, le vilain canard peut tout se permettre, mais tout de même assez frustrant.