Deux nouveautés sous le soleil pour ce cru 2016 : Ezra Haynes a laissé son micro à Riley McShane, pour qui c’est le troisième band, et les Américains essaient de se la jouer plus épique sur ce quatrième album. Après avoir fait trembler légèrement la planète Death Mélo sur "Fragments Of Form And Function" avec son style industriel, groovy et rageur, ALLEGAEON a évolué sans cesse, affinant son caractère pour que sa musique décoiffante prenne le dessus. "Elements Of The Infinite" confirmait que le quintette était parti pour la gloire.

Arrive alors ce qui devait s'avérer l'album de la précoce concrétisation pour ALLEGAEON. Remarquez le conditionnel; ce qu'il y a de bien avec le conditionnel, c'est que, contrairement au présent qui donne tout cuit dans le bec, ou le futur qui est complètement con et hyper permissif, il attend les preuves avant de trancher. Et là, avec "Proponent For Sentience", on tombe malheureusement à court d'arguments pour porter le groupe aux nues, genre 5/5. Compte tenu de la note, vous me trouverez sévère, mais on parle ici d'un poids lourd, pas d'un semi-titan. Alors oui, je fais les coins carrés dans mon analyse.

Est-ce qu'ils ont voulu trop en mettre, est-ce qu'ils ont visé une cible inatteignable? Peu importe les questions, la réponse est que le propos de "Proponent For Sentience" est anecdotique et vraiment trop long à 72 minutes. Les Américains nous proposent de sentir les choses plutôt que d'y réfléchir, de là le titre du skeud. Voyez cela comme une odyssée à travers les époques, de la conception à l'annihilation, avec tout le pompeux que ça comporte. ALLEGAEON pompeux ? Je n'aurais jamais cru cela possible, car le groupe m'a toujours paru plus niché et expérimental que tenté par le clinquant, même si le Death Technique mélodique en met plein la vue par définition.

Là, on a un disque-concept avec trois morceaux-titres misant sur les orchestrations et les atmosphères cinématographiques, ainsi qu'une collection de punchs plus courts et de compos assez alambiquées pour qu'ALLEGAEON marche encore sur le fil du Death Technique... sans tomber.

Et c'est grâce à cette habileté à créer un contenu intéressant, nonobstant la forme, que les Américains arrivent encore à faire écarquiller les oreilles. Les idées jaillissent comme un geyser, peut-être encore une fois avec un léger manque de cohésion – on passe des Mayas au Moyen-Orient en quelques minutes, mais il serait dingue de ne pas accorder le crédit à une formation qui en jette pour la création de riffs rondelets et de mélodies savantes, fédératrices. Reste le sentiment de ne pas avoir été pris pour un imbécile en raison de l'accessibilité de cette œuvre forgée par des orfèvres. Et merde que c'est difficile d'y arriver, surtout en 2016, quand tout a été dit et hurlé dans le style, ou presque, vous le savez. C'est le nerf de la guerre en musique.

Qu'ALLEGAEON nous agresse avec des brûlots comme le duo "All Hail Science - From Nothing", joue avec les orchestrations "Proponent For Sentience I et II", instaure une curieuse atmosphère aux instruments ethniques et à la sèche ("Gray Matter Mechanics - Apassionata Ex Machinea", "Terrathaw And The Quake") ou endosse son uniforme de scientifique compositeur la plupart du temps, on est mûr pour une énième expérience spéciale en compagnie de ces timbrés d'Américains.

Un disque pour lequel notre patience sera mise à bout, mais qui, lorsqu'il est décortiqué à sa juste valeur, dévoile son muscle sans trop nous tomber sur les nerfs. Une grande qualité amenée de rude manière.

Podium : (or) "All Hail Science - From Nothing", (argent) "Proponent For Sentience III - The Extermination", (bronze) "Terrathaw And The Quake".