Cela fait combien de temps que l'annonce d'un nouveau projet estampillé "Metal opera" ne fait plus bander personne ? Cela se compte en années, c'est une évidence. Le récent diptyque "Avalon" signé Timo Tolkki, il vous a fait dresser le kiki ? Sincèrement ? Non, c'est une évidence. Et le plus vieux "Genius", en trois volets, signé Daniele Liverani, vous êtes allés au bout ? Après la déferlante et le climax artistique des premières sorties du genre, le soufflet est retombé comme une mauvaise blague de Tobias Sammet. Depuis quand n'avez vous pas ressenti le plaisir provoqué par la splendeur d'un "Avantasia" des débuts, par le projet de Sascha Paeth "Aina", le Nostadamus" de Nikolo Kotzev ou le "Once And Future King" de Gary Hughes ? Depuis le début des années 2000, date de sortie de ces fabuleux albums. Aujourd'hui, et au moment de découvrir ce "Dracula" ambitieux, la prudence est de mise. Deux raisons à cela : la sortie est estampillée Frontiers, en partie responsable du navrant "Avalon", et cet album est écrit et composé par la paire Jorn Lande / Trond Holter (guitariste de Wig Wam qui a rejoint le projet solo du chanteur norvégien en 2012), qui n'a pas vraiment fait d'étincelles sur "Traveller", dernière sortie en date signée JORN.

La réussite est d'autant plus belle. Car en se la jouant modeste et somme toute minimaliste, Jorn et Trond offrent un album inespéré qui offre un pied monumental, rien de moins. Nous le savons, le chanteur se fait bien plus convaincant lorsqu'il est adroitement épaulé par de bons compositeurs, comme c'est le cas sur les Allen / Lande notamment. Sur ce "Swing Of Death", le chanteur est magistral, volubile et entraînant, utilisant sa puissance vocale au profit de compositions à la fois inspirées et entraînantes. Basé sur le roman de Bram Stocker, et s'appuyant notamment sur les éléments complexes, certains relevant de l'ethnologie, d'autres de l'analyse, qui l'agrémentent, ce Metal opera a le bon goût de ne pas s'étendre en instrumentistes. Ce bon Jorn interprète de toute évidence le comte amateur d'hémoglobine, tandis que la chanteuse Lena Fløitmoen Børresen interprète les personnages féminins de Mina et Lucy, tirés de l'ouvrage de Bram Stocker. De même, l'album se passe fort bien des orchestrations pompeuses et des interludes souvent inutiles qui parsèment habituellement les albums de ce type. Ici, Trond Holter semble décidé à se faire concis (l'album dépasse à peine les 45 minutes) et surtout direct, très accessible. Typiquement le genre d'album à même de séduire les profanes ou à convertir de nouveau les désabusés de l'exercice.

Théâtral (forcément), le titre d'ouverture "Hands Of Your god" et ses arrangements baroques (quelle ligne de guitare acoustique !) montrent un Jorn dont la puissance cache à peine une fragilité inédite, qui sied parfaitement au timbre chaud du bonhomme. Ce premier contact permet d'entrer en douceur dans un univers mêlant Heavy Metal mélodique et Hard Rock dans une alchimie fun et grandiloquente, sérieuse dans son exécution tout en étant légère dans son propos. L'efficacité des guitares fait rage sur "Walking On Water", au solo fortement inspiré par Michael Schenker, influence semble-t-il majeure du sieur Holter. Mid-tempo somme toute traditionnel, ce titre s'éclipse bien vite au profit d'un autre "tube", le morceau-titre "Swing Of Death". Une intro baroque (quel délice d'entendre Jorn se la jouer crooner) précède un refrain entraînant à l'interprétation impeccable, dont le côté fun assumé est un véritable plaisir. Hard Rock jusqu'au bout des dents (que Dracula a longues), ce titre marqué par un break à la flûte celtisante est à classer comme ce que Jorn a pu interpréter de plus intéressant depuis bien longtemps. Tout cela est léger, incroyablement efficace, grandiloquent sans être pompeux. Une réussite inespérée.

Les bonnes surprises s'enchaînent ainsi et parviennent à maintenir l'intérêt sur l'ensemble de l'opus. "Masquerade Ball", très imagé, taillé pour la scène, génère un véritable maëlstrom d'émotions, alternant passages calmes, très imagés, et moments de bravoure faisant la part-belle à la six-cordes. Plus alambiqué, "Queen Of The Dead" et son long solo central balance un riff typiquement 80's avant de s'aventurer dans des sonorités plus vindicatives. Si les interventions de la chanteuse Lena semblent dispensables (et bien maigrelettes en comparaison de celles du "monstre" Jorn), peu de moments faibles émaillent l'album, même si certains titres plus convenus tels que "Save Me" ou le final "Under The Gun" peinent à égaler la flamboyance des tueries précitées, tout en restant fort honorables et à propos.

Sorti en tout début d'année, ce "Dracula - Swing Of Death" peut d'ores et déjà prétendre figurer en bonne place dans les classements de décembre prochain. Tantôt très traditionnel dans l'approche, tantôt résolument barré et surprenant, ce projet, composé essentiellement par un Trond Holter que l'on ne connaissait pas encore sur ce terrain audacieux, est une véritable bouffée d'air frais dans le petit monde phagocyté des Metal opera. Jorn, impérial et gonflé à bloc, sert sur un plateau d'argent cet opus marqué par un sens évident de l'efficacité du guitariste, qui sait en montrer beaucoup sans devenir pompeux. Un album à écouter et savourer pour sa rareté et sa beauté simple. Une très belle surprise.