Comme on dit, il n'y a que les cons qui ne changent pas d'avis.
Il est rare que ma vision d'un album change après que je l'aie chroniqué. Sans pour autant penser m'être trompée, j'ai plutôt sous-estimé "Pneuma", premier album de HAIL SPIRIT NOIR sorti il y a deux ans. Ce qui me semblait être des défauts s'est finalement largement estompé pour me redessiner l'idée d'un album bien plus réussi. Les goûts évoluent, et ce que j'ai trouvé fade, dans le sens de trop peu emprunt d'émotions, m'apparaît maintenant comme une belle preuve de sensibilité et de subtilité.
Pour parler en termes de chiffres, "Pneuma" aurait au moins mérité un beau quatre.
Si j'ai pu leur reprocher de ne pas me prendre aux tripes, ne vous inquiétez pas, le trio grec me déchire lentement, autant lors des écoutes de l'aîné que du nouveau-né. "Oi Magoi" est là, avec son artwork majestueux, organique et dérangeant. Tombé comme une bombe, je ne savais même pas qu'ils préparaient un nouvel album. Il semble que nous ayons tous été pris au dépourvu.

La première nouvelle semble être que le groupe s'est assagi. HAIL SPIRIT NOIR, assagi ? Vous voulez rire ? Non, la composition semble simplement moins axée sur l'aspect Black Metal pour se concentrer sur l'autre penchant, Rock-Prog-Psyché-Taré.
"Blood Guru" ou l'entrée en matière Rock'N'Roll. Surprenante à la première écoute pour l'intrusion du chant rauque et sale sur des mesures très douces où seule la basse semble encore éveillée. Les premières écoutes de l'opus sont parsemées de haussements de sourcils surpris, avec l'idée finale que le groupe arrive à créer ce que personne n'aurait pu même imaginer. Cela n'empêche pas que presque tous les titres ressemblent à des tubes, avec leurs mélodies de guitare lead entêtantes, ces riffs Rock et incisifs, leurs claviers parfois à la limite du grotesque, et tous ces refrains du même acabit. "Demon For A Day" a son côté complètement épique sorti de nulle part, mais mon petit coup de cœur personnel va à "Hunters" et son refrain qui incarne ce que je n'aurais jamais pensé apprécier dans un groupe qui joue quelque chose de plus ou moins Metal. La seule référence que j'oserais à peine évoquer est celle de GHOST, car les deux groupes tendent vers la même bizarrerie, avec les mêmes contrastes.

"Oi Magoi" rassemble des atmosphères bien plus sombres que sur "Pneuma" alors que l'aspect Black est, sans être vraiment négligé, assez bien mis de côté. C'est un point qu'on peut largement applaudir, car HAIL SPIRIT NOIR nous prouve qu'on peut faire quelque chose de bien sombre sans devoir recourir à la facilité du Metal et de la violence, sans oublier de placer de nombreuses mélodies.
Il y a cette force venue des profondeurs qui semble vouloir resurgir, que le groupe tente de maîtriser et de canaliser, parfois en vain. Quelque chose de bien plus ancien, qui remonte à TRANSCENDING BIZARRE ?, l'ancien groupe des protagonistes de HAIL SPIRIT NOIR. C'est cette puissance dans l'incantatoire "Satan Is Time". C'est ce monstre informe noir qui se bat pour qu'on le laisse sortir tout au long de "Oi Magoi" ou de "The Mermaid". L'explosion y est si dingue et si inattendue que tous les repères s'effacent. HAIL SPIRIT NOIR représente à merveille ce groupe qui ose ce que personne n'ose, avec une maîtrise inédite.

L'atout des Grecs est dans la technique, dans la composition, mais aussi dans l'esthétique générale qui s'en dégage. Il sait avant tout nous charmer. Dans ses ambiances de trip sous acide ou en pleine hypnose, dans ses images de nuits enfumées et colorées, dans le regard du monstre sous le lit de la petite fille, dans la décadence profonde qui semble pointer le bout de son nez à la fin de chaque boucle. Mais aussi et surtout dans la belle illusion créée par le chant clair qui ne semble même pas présager une quelconque noirceur. "Satan Is Time" et l'émotion de ses couplets ne peut pas être l'oeuvre du Malin... Trop doux pour l'être. La confusion est pourtant là, et on passe du gracieux au dérangeant en une fraction de seconde.

On aimerait parfois ne pas se prendre la tête, que les riffs décollent un peu plus, que l'atmosphère soit enfin tranchée. Il y a des passages qui, lorsqu'un amateur de Metal Extrême les entend, sont comme des signaux qui donnent l'alerte. Attention, décollage imminent. HAIL SPIRIT NOIR se fout bien de notre gueule, si je puis dire. Parce qu'on n'a jamais notre dose d'ultra-violence, on l'espère, et elle ne vient pas. On finit l'écoute sur une impression d'être en manque.
Et pourtant, c'est bien volontaire, l'album est résolument moins violent et moins extrême que son grand frère. Mais cette nouvelle notion d'animosité mesurée est tout autant plaisante. Cette sensation de manque fait partie du charme de la musique car sans elle, on n'en redemanderait pas, ou pas avec autant de ferveur.

"Oi Magoi" a beau mêler ses influences '70s et du Black récent, le résultat n'est ni tout à fait l'un, ni tout à fait l'autre. Il y a une belle part de réappropriation des deux mondes qu'on avait déjà sur "Pneuma", ce serait absurde de le nier. Mais elle est ici bien plus développée et plus poussée, pour notre plus grand plaisir. Bien que ce nouveau-né soit moins frénétique et un peu plus mûr (malgré "Satyriko Orgio (Satyrs’ Orgy)" qui rappelle l'euphorie des débuts), il leur reste toute leur folie. On y retrouve tout ce qu'on a pu aimer mais retourné d'une autre manière, revu et repensé selon un autre état d'esprit. Suivez le lapin blanc, plongez avec Ophélie, foncez.


Morceaux préférés : "Demon For A Day", "The Mermaid", "Hunters".