Adieu les rythmes punk et l'ambiance bar crasseux du Sunset Strip, puant la sueur et le Jack Daniels... Adieu les mélodies hargneuses au goût d'apocalypse imminent, à la tristesse remarquablement dissimulée mais toujours présente par touches subtiles, évoquant l'enfer brûlant des rues d'Hollywood, de sa gloire éphémère, de ses plaisirs opiacés mortels, de ses âmes perdues et suicidaires... Adieu le hard/blues chaud et bourré de feeling, au parfum de désert californien libérateur et expiatoire... Adieu les stades de football remplis de chevelus de la génération X en soif de sensations destructrices, prête à tuer pour voir ses idoles... Adieu la joyeuse bande de potes nourrissant le groupe de leurs influences diverses, lui conférant un charisme incroyable, le plaçant au dessus de tous les autres... AEROSMITH ? Lessivé, perdu dans son propre paradis artificiel. KISS ? Un groupe fun, marrant au mieux, mais dégoûtant, boursoufflé par tant de tentatives racoleuses de regagner un public plus aussi dupe que dix ans auparavant. AC/DC ? Le géant australien fait désormais du surplace, et son territoire, c'est les pubs de vieux bikers. Le CRÜE ? BON JOVI ? Du Hard pour minettes, qui a depuis longtemps quitté la rue, ou n'y a jamais mis les pieds tout simplement, pour MTV, vampirisant toute sincérité musicale...
Bonjour le son moderne et raffiné, poli à l'extrême durant ces nombreuses années, où chaque détail semble avoir été calibré à la perfection... Bonjour le nouvel Axl, plus torturé que jamais, absolument héroïque, divin, imposant sa voix unique, son talent incomparable, son don de faire mouche à chaque fois... Un réalisateur dont l'équipe technique restera gentiment dans son ombre, silencieuse et pourtant responsable de cette somme incroyable de travail.
Axl est riche, au sommet. Les rues sordides de Los Angeles sont loin. Seul, dans son manoir de Malibu, il réalise un voyage intérieur dans son âme électrifiée, c'est "Shackler's Revenge" : habitée par un rythme électronique et transpercée par un fulgurant, désagréable au premier abord, solo de guitare. Un morceau aventureux, très vite atténué par l'ambiance légère et mélancolique de "Street Of Dreams" : son solo planant, son refrain magnifique. Axl fait presque de la pop, libéré des personnalités étouffantes de ses anciens compagnons. Et non seulement il le fait bien, mais il réitère l'exploit quelques minutes plus tard avec "There Was A Time", qui évoque lui aussi les sonorités légères d'une musique à des kilomètres d'un "Appetite For Destruction", débutant par une boîte à rythmes audacieuse, imposant une ambiance citadine et sans prétentions, se terminant par un solo aérien et un court chœur angélique nous faisant décoller jusqu'au paradis selon Axl : le chef-d'œuvre "Catcher In The Rye" débute, l'air de rien, encore une fois gentiment popisé même si parcouru de riffs lourds et rassurants, de refrains quasiment enfantins qui font voyager au-dessus des collines de Malibu, bordées de palmiers, de plages, de l'océan pacifique et son bleu clair. Axl veut du théâtral, mais moderne : c'est "Madagascar". Inutile d'y chercher les traces des années 90 et de "November Rain", plutôt une utilisation originale de samples épiques.
La nuit commence à tomber. "Prostitute" débute. Couplets mélancoliques, refrains dantesques soutenus par des violons discrets... Le temps d'un dernier solo épileptique et le soleil a déjà presque disparu à l'horizon : les couleurs orangées chaudes envahissent le ciel vide de nuages, la mer opère son lent ressac, la plage est déserte, au loin sur la côte se distinguent les lumières vives et agressives de la ville bouillonnante, ancien territoire d'Axl... retentissent alors un calme synthé, un fugace piano, bientôt éteints dans la nuit... la solitude lui plaît davantage, sa jeunesse et ses excès sont terminés pour de bon. De même que "Chinese Democracy" : une fin en paix, telle une rédemption après tant d'excès du groupe et du frontman les plus marquants de notre époque.