Il est temps de le reconnaître. Serj Tankian a (avait ?) un chant unique, un timbre et un spectre tellement large qu’il a longtemps personnifié SYSTEM OF A DOWN. Injustement, si vous voulez mon avis (et même si vous ne le souhaitiez pas, ben vous l’avez à présent). Le privilège du frontman ? Peut-être. Néanmoins, si l’on se fie à sa production solo, on ne peut que s’interroger sur cette assertion. La réussite de SOAD tient avant tout à la complémentarité des talents (un peu à l’instar de GUNS N’ROSES) et au génie créatif de Daron Malakian, il ne faut pas se mentir. Le guitariste ayant pris tellement de place, ce qui est flagrant sur le diptyque "Mezmerize"/"Hypnotize" où le lutin farceur s’approprie les rênes du groupe, tout cela ne pouvait qu’aboutir à une séparation ou au hiatus, toujours plus ou moins d’actualité depuis 2005.

Une potentielle reformation - au-delà de quelques concerts visant à remplir les caisses et d’un single surprise "Protect The Land" (correct sans plus) pour soutenir la cause arménienne - ayant tout d’une arlésienne, Daron décide d’utiliser son stock de chansons disponibles pour nous pondre une suite à son premier essai de 2008 sous le label SCARS ON BROADWAY, qui malgré les apparences, n’a rien d’un groupe mais constitue bien un « one-man-band », le guitariste ayant écrit l’ensemble de "Dictator" et globalement enregistré tous les instruments dans son coin, alors que son comparse John Dolmayan avait pourtant participé au premier LP.

Pour faire simple, cet opus constitue une suite assez cohérente à l’éponyme galette. La patte est reconnaissable entre mille, ainsi que le timbre nasillard du bonhomme, qui va jusqu’à harmoniser lui-même ses voix comme à la grande époque. Cette touche unique fait toujours son petit effet sur moi, tout comme les mélodies issues de son cerveau malade mêlant mille influences, dont celles de sa culture caucasienne, toujours aussi présente et jouissive. Les riffs sont simples mais efficaces, et l’écriture très directe : des titres courts et efficaces allant à l’essentiel. Si la production manque à la fois de puissance (beaucoup de medium) et de finesse (les claviers ressortent souvent de manière excessive), cela n’affecte heureusement pas le rendu général.

Bien évidemment, les sommets atteints au sein de SOAD lui semblent aujourd’hui inaccessibles, ce qui finalement milite pour mettre définitivement fin à tout espoir de voir renaître le Phénix de ses cendres. La magie a disparu, envolée avec les querelles d’ego et la mégalomanie de Malakian. Mais là où certains artistes atteints par ce syndrome ne sont juste plus capables de pondre des morceaux acceptables, l’ami Daron arrive encore à nous séduire, à nous toucher, à nous énergiser. Le title-track est un bon exemple, mais très honnêtement, j’aurais bien du mal à pointer du doigt une piste vraiment mauvaise tout au long des 45 minutes qui composent "Dictator". La tracklist est également construite avec soin, proposant un enchaînement assez naturel et ne provoquant aucune lassitude à l’écoute.

En résumé, encore un bon moment passé avec SCARS ON BROADWAY. Je ne pouvais que recommander le premier, ce sera donc encore le cas ici. Compte-tenu que le gars crie sur tous les toits qu’il a une réserve permanente de cent chansons, j’ai envie de demander : à quand le troisième ?