La québécoise Annick Giroux est une petite sommité : auteure d’un bouquin de cuisine proposant des recettes par quelques-uns des groupes les plus trüe de la planète, fanzineuse acharnée, sympathique de notre côté de l’Atlantique grâce à sa veste patchée arborant VULCAIN et SORTILEGE, et (donc) chanteuse dans son groupe CAUCHEMAR.
Un groupe sur lequel les fans de Metal traditionnel devraient se pencher. Malgré l’étiquette Doom bien mise en évidence, CAUCHEMAR n’est pas le genre de combo typiquement rebutant pour les gens plus portés sur le Heavy pur et dur (Heavy pas dans le sens « ouah c’est trop HEAVY comme musique », celui prisé par les kids anglophones). Tenez, prenez la première impression de ce disque, qui vous choppe par le col par une grosse chevauchée limite Speed Metal ; puis le tempo se ralentit progressivement sans jamais tomber dans des lourdeurs trop collantes. C’est un peu pareil au fil de l’EP et si c’est plus qu’assez pour justifier l’iconographie et thématiques doomesques, CAUCHEMAR ne joue rien de réducteur ni de succédané, ils ont juste une maitrise du riff plombé qui peut se permettre de faire plonger le fan dans des transes mollassonnes même en s’extirpant à l’improviste du chemin paresseux tout tracé dans lequel les doomers intégristes ont trop fait de s’engouffrer. Bref une volonté de jouer un peu de tout ce qui sonne trad', alimentée par la culture et les convictions de ses membres. Et je ne vais pas dire qu’ils ont pas mis dans le mille.

Et puis il y a la voix glaciale d’Annick. Sans chercher à vraiment se donner un caractère « evil », c’est sans doute son léger accent québécois (qui transparait parfois pas mal) qui vous embarque dans le trip en vous plongeant un peu malgré vous dans un imaginaire collectif du genre rustique. Ça pourrait agacer, pour moi ce chant renforce la dimension inhabituelle et lointaine calquée sur le gros Heavy de circonstance. C’est tout bonus pour eux vu qu’ils ont pas à travailler outre mesure sur cet aspect pour obtenir ce « cachet » mais le metalhead français (donc oui pas tout le public potentiel du combo, m’enfin le lectorat de NIME est plutôt du genre francophone n’est-il pas) qui veut s’immerger dans cette ambiance peut vraiment fermer les yeux et surinterpréter sans trop forcer l’archaïsme porté par ce chant bien occulte, surtout avec ce son qui donne l’impression d’une musique réalisée dans un cabanon en chêne ou dans une caverne au-dessus d’un chaudron avec des champignons fluorescents sur la roche, j’en grelotte de joie.
Heureusement Annick lance aussi quelques pointes plus chaleureuses et atteint un bon niveau dans ce registre ("Magie Rouge"). On apprécie aussi le discret clin d’œil à leurs très cultes compatriotes de SLAUGHTER au beau milieu du fatras avec un "One, Two, Fuck You" balancé tout à froid, et presque dissimulé tant il sonne innocent et incongru au milieu d’une musique si contemplative (à l’exact autre bout de la gamme du True Metal que SLAUGHTER). Le « YEAAAAH ! » lancé aussi sèchement un peu plus loin fait également un effet terrible dans le genre Doom headbanguable.
On commence à s’imprégner d’une atmosphère beaucoup plus sérieuse avec "Les Ailes De La Mort", un Doom frontal et pénétrant avec toujours cette voix de sorcière impérieuse, avec des pointes de dédain. Le ton se fait alors plus monotone et lisse un peu les intonations, exit les saillies de patois.
Ça revigore d’entendre du Metal chanté en Français qui soit dans un trip si sérieux, et quand en plus c’est porté par des riffs comme celui qui vient à trois minutes dans "Le Gardien De La Terre" on dit oui. Bon, même fait avec le cœur par des gens à fond dedans si vous ne rentrez pas dans le délire ça restera juste une longue énumération d’inanités évidemment.

Cet EP est donc très prometteur pour ma part, vraiment appréciable de la première à la dernière seconde ; il ne se contente pas de rester juste dans le terrain de l’ « honnête » même si CAUCHEMAR va assurément faire encore mieux à l’avenir. Les impatients peuvent se jeter dessus (enfin ils auront plus à attendre trop longtemps vu la date de parution niark), ceux pour qui 5 malheureuses chansons et 20 minutes c’est trop court pour rentrer comme il le faudrait dans l’ambiance auront mieux fait d’attendre l’album.

3++++++/5