"Ouais ouais tu penses le vieux heavy français j’adore !"

Et tu as bien raison mon pote ! Donc si je te met sur la table une compile de titres exhumés des 80s, te dis que c’est français, que ça s’appelle EXCALIBUR et que les morceaux datent de 83 à 87, tu commences à te trémousser sur ta chaise et t’as du mal à contenir ton excitation. Et là, alors que tu t’attends à un flot de mélodie super kitsch… Tu découvres que "heavy français" est un terme fourre-tout pour désigner une scène vaste et étalée à l’extrême entre pur hard-rock et avant-gardes de la vitesse, alors que tu t’enfiles des titres de quasi pur… THRASH !

Entre ces titres effrénés on pense parfois à METALLICA effectivement, celui de "Kill em All" pour l’agressivité brouillonne et joviale. Pour les placer dans le contexte des non moins illustres hardos du cru, on dirait un peu un ADX qui aurait enregistré ses morceaux purement speed d’"Execution" avec le son plus abrasif de "Suprématie" ; le plus proche auquel je peux penser sans m’éloigner de cette scène serait CHARTER, et je n’ai trouvé nulle part plus rentre-dedans, sauf les MORSURE mais ceux-là jouaient dans leur propre trip déjà très-loin au-delà du heavy ; EXCALIBUR ne faisait pas un tel bon en avant mais se concentrait sur une musique dont la recette allait devenir culte.

On est en présence que de démos et, pour la deuxième du groupe, qui a donné son nom à la compile… Waow ! Pour ceux qui ont jeté une oreille sur les versions démos de chansons fameuses des quelques groupes de heavy de l’époque ayant fait carrière, on a ici du matos bien plus furieux et qui ne laisse pas le temps de se dire qu’il y aurait de la place pour une version plus bossée et mieux enregistrée. Compte tenu du fait que ces chansons n’ont pas été réenregistrées et n’ont eu, à ma connaissance, que le "nettoyage" qui s’imposait, on ne peut qu’être scié par le potentiel et la hargne de ces musiciens. Cette démo ouvre donc la compile : à défaut d’ordre chronologique, le label a sans doute choisi d’entrée de jeu de marquer le coup avec ce qui restera le magnus opus du groupe par défaut, hélas.

Cette démo est très agressive et ne se prive pas de lancer des attaques vraiment impressionnantes, avec une guitare qui vient couper la parole juste à la fin d’un aboiement (aigu) du chanteur. Le morceau emblématique là-dedans est "Destination enfer", montrant que le groupe savait déjà ficeler parfaitement une chanson effrénée sans temps mort et prenant le temps en plus de déballer toutes ses idées en matière de Heavy bien narratif. Niveau solos il faut absolument prêter une oreille attentive à "Black Speed", en s’accrochant bien comme il faut ; et à solos perçants et qui font mouche il faut ajouter la prestation du chanteur, qui sait monter dans des aigus hauts perchés super vite et sans perdre de sa niaque.

Pour peu que vous supportiez le chant en Français (dans le contenu s’entend, pas dans l’intégration de la voix à la musique, qui est plus que nickel), "Fils Vengeur" pourrait ranimer en vous des vieilles sensations Heavy qu’on décèle d’habitude dans des groupes plus ambitieux de l’époque et, surtout, passer à la postérité. Franchement, je sais que l’entendre en français ça fait grincer des dents, mais "Destination enfer" y a qu’à se dire que c’est une mauvaise traduction de VENOM et ça passe tout seul.

Comme c’était une époque où les métalleux n’avaient pas honte d’être des métalleux, on a le droit aux obligatoires chansonnettes sur le thème récurrent de "on est trop possédé par le Metal !", en l’occurrence "Black Speed" et "Metal Force". Je disais que c’est d’ailleurs marrant qu’on fourre cette musique dans le sac du Heavy maintenant vu la patate intacte qu’elle a su garder au cours des années Faut dire qu’à l’époque Heavy n’avait aucune connotation sympho et était synonyme d’énergie galvanisante, et c’est exactement ce qu’on a ici.

Cette compile nous met beaucoup de matos inédit dans les bras, et de l’inédit qui vaut le coup. On aurait bien aimé que le boulot de nettoyage des tracks ait été fait plus à fond pour ces chansons rares qui proviennent de sessions éparses ; c’était peut-être matériellement infaisable, on ne peut donc que se prononcer sur les versions qui sont parvenues jusqu’à nous.

On a parfois affaire à de l’assez brouillon, avec les deux morceaux de la première démo de 84, non commercialisés, tout comme ceux d’une autre session d’enregistrements dénués de voix, les plus vieux morceaux présentés ici. Parmi eux on retiendra quand même la sinistre "Apocalypse" qui tranche pas mal avec le reste des morceaux par son ton plus lourd et down-tempo.

Les trois chansons live regroupées sur une piste ne sont pas trop gâchées par le son lointain, et au contraire sonnent même sacrément "evil" dans ces captations ; et vu le chahut et les acclamations côté public on devine que le groupe devait faire son petit effet devant les hordes de hardos. L’instru "Prophécie d’Outre-Tombe", dont c’est la seule version présentée ici, est intense comme il faut, et "Exterminateur" est superbement crade et bourrine.

Parmi les sessions tardives qui concluent la compile, qui ont tout de même plusieurs années d’écart avec les démos ainsi qu’un changement de gratteux, on retient d’autres morceaux prometteurs ("Uter de Bretagne", tournant posé et épique initié un peu tard ?). La nouvelle version de "Fils Vengeur" approche le morceau de manière plus lugubre, et si le changement est singulier on aurait tout à fait pu voir le groupe prospérer en continuant sur cette voie.

C’est marrant de s’amuser à deviner ce que ces gars-là auraient pu faire en de meilleures circonstances : le fond du boitier reproduit un flyer de concert que le groupe a donné à l’époque, se présentant comme un « groupe local qui monte » ; dénomination bizarre puisque le groupe avait l’air bien plus pro qu’un simple groupe local, mais faut croire qu’avec le quasi-monopole de la scène parisienne à l’époque ces zicos du Nord devaient plus ou moins inévitablement écoper d’un tel surnom, assez méprisant à mon avis vu que ces mecs n’avaient rien à envier chez aucun autre gang hexagonal. Dommage donc que le combo ait été coupé dans son ascension.

A noter que cette compile cd, qui est assez exhaustive non seulement du côté du maigrichon travail officiel du groupe mais aussi du côté des archives qui ont jamais eu en leur temps la chance de quitter les étagères, vient compléter une réédition en un LP des deux démos par le même label en 2008.