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La scène prend place au fin-fond de la toundra d'ex-URSS, dans une sympathique bourgade répondant au doux nom de Tver. Un peu en marge du village alors sous l'emprise du terrible hiver caractéristique des régions du Grand Nord, un petit local de répétition cradingue dans lequel deux chauves et un tondu s'escriment à faire le plus de bruit possible avec le plus de classe possible...

-Lloyd Moore : Ahem, je me demandais si ça pourrait...
-Artem Gulatev [s'arrête de jouer, le regard empli de mépris] : Attends... Je sais pas quelle connerie tu vas encore nous sortir toi, mais je te préviens d'avance que j'en ai strictement rien à branler, donc t'apprends à rester à ta place de chanteur : TA GUEULE ET GUEULE ! Manquerait plus que tu me voles la vedette, tiens...
-Joann Komkov : Roh, c'est bon mec, arrête de traumatiser ce petit. Il a de la voix, il sait même prononcer des mots et faire plusieurs intonations, alors évite de le faire fuir quoi. Sois cool.
-Artem : Ben voyons, les trois quarts des vocalistes de la scène moshcore qui se revendique death ont le même squatteur de micro, qu'il se casse je t'en repêche 52 en moins de temps qu'il ne faut pour dire GRUIK. S'il est là, c'est juste pour pas faire fuir l'audimat qui serait rebuté de voir «instrumental» dans le style de l'album, vu que c'est connu que l'instrumental c'est du prog et le prog c'est chiant.
-Joann : Mouaif, écoutons ce qu'il a à dire quand même.
-Lloyd : Merci à toi Jo. Donc alors, c'est pas pour vexer qui que ce soit ni pour tenter d'attenter à la légitimité de l'existence de l'ego surdimenssionné du petit chauve dont nous sommes en présence [esquive une pédale de distorsion lancée à pleine vitesse dans sa direction] mais... Ce qu'on joue, notre musique là, c'est quand même un peu abusé vous trouvez pas ?
-Joann [La main solidement plaquée contre la bouche d'Artem, qui se débat comme un forcené] : Je sais pas trop ce que t'entends par là, mais ça a intérêt à être vachement justifié sinon tu sentiras plus jamais le goût de la Vodka, mon petit.
-Lloyd : Eh ben... On a Artem qui nous balance des riffs super techniques en sweeping... comme BRAIN DRILL, puis des moshpart basiques pour se la jouer accrocheur et tendance. Donc voilà, pas que ça me pose un problème, juste qu'avec un peu de recul tout ça c'est réchauffé jusqu'à ce que ça prenne feu quoi...
-Artem : MAIS C'EST QU'IL M'EMMERDE CELUI-LA PAR STALINE ! UN MOT DE PLUS ET IL RENTRE CHEZ LUI EN DANSANT LA POLKA LE FION AUSSI BOURRÉ QU'UN OUVRIER BOLCHÉVIQUE UN SAMEDI SOIR !
-Joann : Wooooh, du calme, du calme ! On a encore besoin de lui, l’abîme pas, on enregistre dans quelques jours et vu comment je me suis fait chier à tout arranger pour le studio et les artworks, pas intérêt à ce qu'on se retrouve à devoir enregistrer les pistes de chant en posthume faute de moyens, pigé ?
-Artem : Attends, mais il m'emmerde lui, vu comment je me casse le cul à pondre tous ces riffs tarabiscornus et autres soli mélodiques incorporés dans des structures de oufzor que personne arrivera à les comprendre, avec une boîte à rythmes inhumaine mais qu'on dirait quand même un vrai humain comme dans ANAAL NATHRAKH, hein, tout le monde se branlait sur leur boîte à rythmes à eux ben maintenant ils jouiront sur la nôtre ! C'est un chef-d’œuvre que je nous prépare là je te dis, un chef-d’œuvre !
Alors le cabot va gentiment retourner à la niche. Ah, une autre idée absolument démentielle et machiavélique vient de s'évader de mon cerveau en fusion débordant de génie ! Lloyd, tu es désormais banni du livret et des photos promos, ta gueule sera enfouie sous le CD et personne n'en aura rien à branler de toi. Et en plus, vu que Joann me ressemble pas mal, sur la photo principale, on pourra même croire que c'est deux fois moi !
-Lloyd : Je pense que j'y survivrai...
-Joann : N'empèche que le gamin a pas complètement tort sur toute la ligne. Repose cette pioche Arty. Attendez, je viens d'avoir une idée qui pourrait faire tripler notre chiffre d'affaires.
[Il part à l'autre bout de la pièce, ouvre une trappe et disparaît pendant une dizaine de minutes. Puis il revient couvert de poussière avec un gros paquet dans la main]
Voilà, un putain de piano ! Enfin, bon, soyez indulgent, on fait avec ce qu'on a. Vous connaissez des groupes de Death qui incorporent du piano dans leur compos, vous ?
-Lloyd : Ben ouais, VEHEMENCE, FLESHG...
-Artem : Non, aucun, putain, mec, c'est génial, on va avoir une place au Prix Nobel grâce à toi ! [fait des aller-retour sur les touches du bontempi] En plus, y'a même pas besoin de savoir jouer de cette merde pour faire des trucs stylés, on a qu'à superposer des lignes dans ce genre à chaque ralentissement un peu vide et hop, c'est dans la poche ! Joann, tu viens de gagner ma grâce, j'accepte de te laisser une bonne place dans le mix. Oui je sais, je suis trop bon, pas la peine de me remercier, c'est dans ma nature, et rhabille-toi. Sur ce, à l'assaut de ce putain de studio !
-Lloyd : Euh, attends, notre album fait à peine 30 minutes là, faudrait peut-être attendre encore un peu ?
-Artem : Ben on va foutre 9 minutes de bruits de caverne à la fin comme CONDEMNED, du coup on a 40 minutes et le fan absolu est content.
-Joann : Tout le monde s'est foutu de leur gueule à ceux-là, justement à cause de ça. Donc, nan mauvaise idée. On va plutôt faire 4 minutes comme ça on en a genre 36 et c'est bien.
-Artem : C'est que tu commences à me plaire toi... T'as pensé à un message pour la promo au fait ?
-Joann : Ouais, ça parle du fait qu'on vienne de partout, qu'on est méga techniques et que l'artwork est fait par 3 artistes. Le piano on en parle surtout pas, on garde la surprise !
-Artem : T'aurais dû faire directeur marketing toi. Merci mec, grâce à toi on est riches !

Quelques mois plus tard, au fond d'un petit village paumé en campagne parisienne, un jeune brutalleux avec un sobriquet de poiscaille pas claire déballe un colis en provenance de Soulflesh Collector et y trouve ce Tourment Monumental. Il l'écoute, trouve ça bon, le réécoute, reste perplexe devant une telle débauche de too much, et finit par le ranger. Parce que bon, ils sont bien gentils avec leur Moshing BRAIN DRILL progressif à piano, mais y'a des limites quand même. Mixer absolument tous les éléments en vogue pour accrocher le maximum d'auditeurs tout en restant méga extrême, c'est bien mignon, mais personne est dupe.
Mais l'album est quand même bien bon au premier abord.

Résultat : trop c'est trop. Pour certains, c'est encore pas assez, mais dans ce cas précis faut quand même savoir s'arrêter...

*Dédicacé à Corentin Gervais, pour avoir réussi à déchiffrer le magnifique logo épineux sur mon T-shirt*