Il y a deux avantages de taille à être un artiste reconnu : le premier est un ample réseau de connaissances, qui permet d'élaborer des projets communs, et le second, la possibilité d'œuvrer dans le grand n'importe quoi sans perdre en crédibilité. "Murder Nature" est une illustration convaincante de ce phénomène. Pochette d'un goût douteux, entre érotisme de supermarché et provoc' d'ados attardés, livret garni de photos de pouffes qui auraient leur place sur Chatroulette, dégaine de gangstas pour les deux compères, tout y passe.
Et c'est là que la magie opère : quels compères ! Daniel Cardoso, multi-instrumentiste ayant joué aux côtés des plus grands, et Kristoffer Rygg, tête pensante d'ULVER. Alors, au lieu de jeter un regard méprisant sur le boîtier, on se tait, on l'ouvre religieusement et on enfourne le disque dans le lecteur le plus proche, pour se laisser porter par cette musique qui, elle, est de bon goût.

Onze pistes, trois quarts d'heure de musique : des chansons courtes, mais pas trop, qui vont droit au but, mais en empruntant quelques chemins détournés, bref, un album ludique et pas prise de tête, tout en étant assez bien ficelé pour mériter sa place entre un ARCTURUS et un ULVER.
Petite précision cependant : Kristoffer Rygg n'a pas participé à la composition des morceaux, qui est l'œuvre de Daniel Cardoso, il s'est contenté de donner corps au concept de l'album et de poser ses lignes de chant toujours aussi inspirées. Sans surprise, le loup norvégien illumine le disque de bout en bout, offrant une nouvelle performance parfaite, assez proche des débordements fantasmatiques de "Blood Inside".
L'instrumentiste portugais, quant à lui, ne se laisse pas voler la vedette et s'occupe de tout le reste : guitare, basse, batterie, clavier, et j'aime autant vous dire qu'il est loin d'être manchot. Il sait insuffler à chaque chanson un rythme entraînant, des riffs hypnotiques, mais sait aussi se faire plus mélancolique, plaçant çà et là des notes de piano discrètes.
On pourrait concrètement identifier "Murder Nature" comme un mélange de rock et de metal rythmé aux sonorités parfois psychédéliques, tantôt aussi pesant qu'un MESHUGGAH, tantôt aussi dansant qu'un A PERFECT CIRCLE. Inévitablement, au-dessus de cet hybride plane l'ombre d'ULVER, faite d'expériences étranges et de froid nordique. Avide d'expérimentations, Kristoffer Rygg a opté pour des paroles sibyllines, proches de l'écriture automatique. Ceux qui ont aimé ne rien comprendre en écoutant "The Sham Mirrors" d'ARCTURUS seront aux anges, les autres ne se préoccuperont pas des paroles, de toute manière assez difficiles à déchiffrer au sein du livret.

L'osmose entre les deux musiciens est totale, comme sur la huitième piste, "Kill Me", où se mêlent guitare, piano et voix torturée, qui débouche sur un "Wonderworld" halluciné, conclu par un chœur délirant.
Des moments d'une telle intensité, "Murder Nature" en contient des dizaines et nous donne l'agréable impression d'être un disque rempli à ras bord de bonnes idées, où chaque seconde compte. Un véritable travail d'orfèvre opéré par deux gaillards sûrs de leurs gestes, né d'une volonté de se faire plaisir, tout simplement. Car si la mégalomanie de ses géniteurs est constamment palpable, "Murder Nature" est finalement simple, sans fioriture, loin de l'ambition qui pourrait caractériser un album d'ULVER. Un album que l'on écoute de temps à autres, mais qui reste toujours aussi attachant. Efficace, dans le sens noble du terme.

"Murder Nature" réussit donc à faire cohabiter un côté divertissant et une richesse musicale que ne renierait pas ULVER et est donc totalement indispensable pour les aficionados de l'un ou l'autre des deux musiciens.
Pour le moment, la réalisation d'un deuxième album n'est pas à l'ordre du jour, et c'est bien dommage, car celui-ci est décidément aussi bon que sa pochette est laide.
Les amateurs pourront à la rigueur patienter avec la très bonne reprise de "Kiss From A Rose" de Seal, disponible sur le Myspace du groupe.