Rares sont les musiques à la fluidité d’exécution telle qu’elles semblent couler de source : cours d’eau mélodiques aux mouvances souples et langoureuses, affluents d’harmonies simples et belles, à l’itinéraire libre, parcouru avec une tranquillité, une fraîcheur et un calme confondants... plus rares encore sont celles dont la clairvoyance ne souffre d’aucun mot, d’aucun concept qui prétendrait, tel des voyants allumés excitant l’organe de la raison, définir, signifier, ou extrapoler à partir de chacun de ses mouvements. Comme si l’intelligibilité lacunaire du concept pouvait prétendre au même fond que la musique manifeste…

Aussi, vous comprenez ma surprise quand, prélevée à même la carrière d’un BM français exténuant et frénétique dans ses revendications – revendications elles-mêmes aussi verbeuses qu’assourdissantes, je découvris qu’une pierre de cet acabit alliaient les deux facettes susmentionnées sans pour autant sonner "post-rock"(en trois adjectifs : chiant, mou et niais), et - miracle ! avec un savoir-faire et une maîtrise suffisants pour que l’étiquette "amateurisme" ne vienne ternir l’objet.

Distribuées par le label britannique Todestrieb records, les productions intimistes et instrumentales de SelfM, actuel bassiste du groupe français LEX TALIONIS, n’ont eu de cesse de décliner les nuances et les teintes de gris avec un feeling, un sens de mélodie et de la composition que j’estimerai, non pas "rutilants" ou "plus qu’honorable", mais décents, tout simplement. Le côté boisé, très lyrique et naturaliste en moins, on penserait presque que ce qui rendait le "Pale Folklore" d’AGALLOCH si attachant ne se soit donné rendez-vous sur cette galette à haute teneur introspective.

Affleure, à même les arpèges saturés, la basse audible et les riffs catchy de la face A, l’influence d’un NUIT NOIRE ayant abandonné ses frusques féériques pour un rock doux-amer suffisamment soutenu (blast, double pédales, mid-tempo) pour justifier sa place ici, et suffisamment sombre et monochrome pour risquer l’appellation BM – d’un BM dénué, il faut bien le dire, de l’acrimonie si coutumière au genre. On laissera au puriste le soin - la légitimité ? - de s’arracher les cheveux. Tant mieux. Il apprendra ainsi qu’on peut tout aussi authentiquement évoquer la douleur et le déchirement sans pour autant se complaire dans le tout caca (et pourtant, Dieu seul sait à quel point j’aime le caca).

Pas de rituel sonore aux exhalaisons odieuses et putrides donc, juste une mélancolie pénétrante, osant même, parfois, et avec une résolution qui ne plaira pas à tous, quelques rayons de soleil grisants. Pas de supplice auditif aux hautes fréquences, mais de guitares aux distorsions âcres, douées de lancinances contemplatives, au souffle chaud, engobant quoique souffreteux, et empreint du minimum syndical de crasse, de crudité. En quoi WSSAMS, ça n’est pas non plus ALCEST, aka les chantres du BM petit-bourgeois bien proprets sur eux, adulés plus que réellement abhorrés.

On pourrait craindre que le monochrome ne fatigue. Il n’en est rien ici, et ce grâce à cette face B captivante de bout en bout. Je ne sais d’où viennent ces sonorités rehaussant ces guitares aux émulsions impénétrables, mais loin des claviers cosmiques stéréotypés tels que dispensés habituellement par le genre, elles soulèvent et constellent la voûte nocturne d’une éloquence, d’une pertinence irréfutables. Les surimpositions de leads enrichissent le corps du propos de nouvelles colorations, au lieu de l’alourdir et de l’exagérer. L’humilité du tout et sa très bonne tenue de route achèveront d’emporter l’adhésion.

Ah oui, et la cassette jouit d’une très belle pro-cover. La classe.