Le froid

Phénomène naturel abstrait mais tellement concret lorsqu'il se glisse dans notre chair comme des lames trempées dans le cyanure. Abaissement de la température créant des paysages de rêve, où les manteaux blancs sont parfois décorés de grisaille ; rochers, arbres rachitiques, rivière rebelle s'infiltrant tranquillement entre les plaques translucides du frigo temporel.

Le froid, en musique, est né en Scandinavie, tout le monde sera d'accord là-dessus. Que les cryogénies soient norvégiennes, finlandaise, danoises et suédoises (comme c'est le cas avec le nouveau combo de Black Mélo ISTAPP), on ressent ces pics acérés pénétrer notre corps jusque dans notre âme. Vous songez à IMMORTAL, ENSLAVED peut-être, je rajouterais d'instinct ISKALD ou ELITE, groupe à qui ressemble un peu ISTAPP dans la forme : des pièces courtes, rentre-dedans, épiques mais pas trop.

ISTAPP (« glaçon ») sonne toutefois old school et s'éloigne rapidement des groupes cités plus haut, en employant un mix de Black crado et de Black mélodique pas très explosif. La production est minimaliste, juste ce qu'il faut, ce qui colle admirablement aux compos enneigées et austères des Suédois. Mais ne vous attendez pas à des envolées extraordinaires, ISTAPP est plus terreux qu'aérien. Ce qui le place instantanément dans la catégorie des nains du Black Mélo, malgré un charisme et une efficacité flagrants. J'hésite même à les classer Black Mélo, c'est très limite, ça aurait pu bercer davantage...

"Blekinge" est donc une longue marche dans la neige, cotte de mailles et vêtements chauds au corps. Et les Suédois ne meurent pas de froid, car leur musique est plus festive que ce qu'on connaît du genre. Je parlais d'austérité (celle de "-" entre autres), eh bien il faudra nuancer le tout, car s'il aime attaquer, ISTAPP utilise les chœurs sur la majorité des morceaux et des parties de chant tenant plus du folk que du Black. Des exemples ? Les entraînantes "Köldens Union", "I Väntan På Den Absoluta Nollpunkten" ou la pièce-titre, qui clôt extrêmement bien l'album.

"Blekinge" s'écoute assez facilement, les Suédois ne risquent pas beaucoup, ils se contentent d'offrir des pièces respectables et fidèles à leurs thèmes de prédilection : le putain d'hiver et cette chère apocalypse (en passant, vous saviez que l'apocalypse est supposée être quelque chose de positif ?). On s'emmerde un peu, ne le cachons pas, surtout lorsqu'ils cavalcadent comme des héritiers Darkthroniens adeptes de mauvaise production (le premier riff du disque, celui de "Vinterriket", peut être trompeur quant au contenu de l'opus). Cette dernière est décidément ici une tare, mais encore une fois, si on considère l'identité d'ISTAPP, la pilule s'avalera mieux. Gardez cette pochette en tête à chaque fois, ça aidera. Et dites-vous qu'ISTAPP est assez chic pour incorporer des passages atmosphériques et des samples style « toundra » pour rehausser l'imagerie d'un niveau. Un très bon point.

Metal Blade a fait confiance aux Suédois, avec raison, donc je garderai espoir en ce trio dépeignant avec talent les soubresauts frigorifiques de Dame Nature.