Le raw Black. A force de sucer, la bouche use. A ne baiser qu'entre membres de sa propre famille, la sclérose guette. Les ravages congénitaux sont tels, actuellement, que la scène UG finlandaise devrait plus légitimement se targuer de trisomie 21 que de revendiquer un héritage dûment assimilé. Quand on ne sait quoi ajouter, on trouve encore à prendre la guitare, par prétextes eût égard de la vacuité du résultat : sexe, guerre, Satan, voilà la belle affaire ! Et le Rock'n Roll dans tout ça ? On en vient trop facilement à oublier que les mecs de DARKTHRONE faisaient avant tout ce qu'ils voulaient, et n'avaient rien à foutre du conformisme. Quid de ses "successeurs" actuels ?

Alors que la question reste en suspens, c'est le "Smrad" de SMORZANDO (une rapide recherche sur le Net vous expliquera la notion musicologique) qui passe. N'allez pas croire que les Suisses de Zürich révolutionnent quoi que ce soit, mais ne vous imaginez pas non plus qu'ils se branlent la nouille sur trois tremolos piqués chez vous-savez-qui. Si le schéma demeure foncièrement Black Metal, soit Rock, cette demo n'en reste pas moins un courant d'air salvateur dans cet inceste généralisé entre clones Darkthroniens et copies "expérimentalo-vintage" de l'ex-scène norvégienne des 90's. Le consensus devenant irrespirable, la réaction n'a pas tardé chez certains électrons libres.

SMORZANDO tape dans le mille en ce que son intégrité n'admet ni concession, ni repompe stérile, ni affiliation évidente : la typicité du son, cette alchimie difficilement saisissable oscillant sans répit entre marasme pseudo-dépressif, langueur délurée (Lied 4) et accents atmosphériques ne lassent pas de nourrir l'imagination et de titiller un intérêt, d'ordinaire amorphe, ici anormalement excité. Voilà une personnalité naissante, au potentiel certain, dont les traits surprenants méritent plus ample analyse.

Car ce Black distillé, fiévreux, conscient du son "étouffé" propre au format cassette, jouant sur le flou d'une production sous-mixant la batterie pour lui préférer le chant comme les leads ; ce Black mi-claustrophobique/mi-névrosé donc, à la patine rugueuse et aux fulgurances tenaces ("Lied 5" et son break) saisit, il faut bien le dire, d'une ambiguïté peu commune.

Ambiguïté d'une musique fraîchement impulsive, spontanée, pourtant indubitablement maîtrisée, d'une remarquable pertinence dans ses soudaines et inédites expectorations sonores, cohérente aussi bien dans ses suites d'idées que dans ses montées en puissance. Sorte d'expulsion viscérale, gravité mêlée de légèreté, de riffs mélodiques, granuleux, se chevauchant et se disjoignant à l'appui d'une solide assise rythmique essentiellement mid. Motifs refusant aussi bien le conventionnel que le progressisme stérilisant, et dont les digressions psychédéliques, d'une limpidité souillée d'acides et de psychotropes, font chambre commune avec un moog bien dosé valorisant ces différentes textures. ("Lied" 1, 3 et 5)

Par-delà le constat d'un potentiel certain et d'une habileté indéniable, il ne manquerait alors à SMORZANDO qu'une production un poil mieux adaptée, un format d'une durée plus longue, et, peut-être, d'une exacerbation de ce côté "vintage", d'un psychédélisme n'ayant pas peur de déborder outre mesure et de supplanter momentanément un riffing hégémonique constituant, encore chez ENSLAVED et chez les Blackeux ayant-découvert-des-vinyles-de-PINK FLOYD, un carcan à l'affranchissement difficile.

Mais ne nous perdons pas en anticipations et rappelons qu'il ne s'agit là que d'un premier coup d'essai, réussi et prometteur. Ces Suisses, décidément…