Le Cercle polaire crache son haleine frigorifique sur les cinq paires de jambes exténuées, vêtues de peaux de loups, qui retournent à la maison. Leur ville s'appelle Mo I Rana. Ces marcheurs, nommés Bent, Torgeir, Per, Chris et Rainer, sont partis dans le nord, en expédition montagnarde malgré les avertissements de leurs proches, à la recherche d'une source d'inspiration pour leur prochain skeud. Arrivé à destination après leur longue et périlleuse excursion dans les neiges mortelles de Norvège, le quintette d'ELITE s'est mis au boulot d'écriture dès le lendemain. Deux mois plus tard, dix titres s'encraient sur leurs feuilles barbouillées et en haut de la pile, une feuille blanche sur laquelle étaient griffonnés ces mots, synthèse de leur odyssée nordique : "We Own The Mountains" ("Les montagnes sont nôtres").

ELITE en est à son troisième voyage musical depuis 2001 dans la contrée inhospitalière et mirifique du nord de la Norvège. Et celui-ci est fertile en imagerie, en souvenirs. Grise, froide, typiquement scandinave, cette livraison Black est un bon cru. Sans être crade, car la production est nette comme un mur de glace, elle décoiffe.

Le titre en lui-même est déjà un indicateur suffisamment précis de ce qui nous attend : une large fresque blanche et noire, sans une lueur de soleil. Le compte-rendu d'un montagnard prisonnier de son environnement qu'il vient à aimer, par habitude ou masochisme. Un montagnard dont la spiritualité est reliée à Dame Nature et ses humeurs plus qu’au Christ et ses honneurs.

L'absence de clarté brouille les esprits et pousse le légitime "propriétaire" de ces montagnes à composer des odes indéfinissables, telles que "Legend" et ses riffs aussi coupants qu'une défense de tigre des neiges. Il lui arrive même de perdre le nord et de sombrer dans le coma en se disant qu'un tel désert de givre n'existe que dans les contes, mais il se réveille alors en sursaut et témoigne de son hallucination. L'écho de la montagne lui revient et les émotions venteuses qui l'ont traversé lors de sa lente progression sur le manteau immaculé remontent à la surface.

Si les compos d'ELITE sont majestueuses et généreuses en symboles, elles manquent parfois d'hétérogénéité. On prendrait davantage de morceaux charpentés comme "Legend" ou la colossale "Vi Skyr Igen Strid", duo qu'on peut aisément séparer du reste. Comme la tempête de flocons dont il émane, "We Own The Mountains" est frisquet et ne se laisse pas apprivoiser facilement. Ce qui plaira aux inconditionnels des premiers albums d'ENSLAVED, avant leur tournant expérimento-psychélédique.

Ça grésille cette basse, ça bourdonne, et que dire de ces six cordes caverneuses ? Tous ces bouts de bois n'ont pas seulement servi à allumer des feux à l'ombre d'un rocher, ils ont profité à des doigts agiles, dégelés enfin de leur torpeur hivernale. N'allons pas jusqu'à prêcher une avalanche de mélodies, c'est du Black norvégien 100% laine et 100% nature après tout, pas des airs de boîte à musique…

Tenez-vous le pour dit, ELITE n'est pas à classer dans l'élite, justement, mais dans un enclos de bêtes douées qui ont vu du pays et qui possèdent de ce fait le pouvoir de transcender la géographie de l'âme.

Note : 3,5