C'est quoi ce disque ? Entre la révolution "Nevermind" et le sale "In Utero", on pensait qu'il n'y avait rien. Et il n'y a certainement pas eu grand-chose sinon sur le plan strictement commercial. "Incesticide" sort en 1992, histoire d'abreuver le fan qui patiente pendant que ses héros s'attèlent à l'écriture laborieuse de ce qui deviendra en 1993 un disque mal compris, entre l'odieux et le divin, à l'écoute très ardue. Et "Incesticide" est naturellement rempli de raretés, de faces B et autres chutes de studio.

Et quelle étrange impression ! Oui, l'impression d'avoir affaire à un véritable album, plutôt très bon, moins poli que son vrai faux prédécesseur, moins ordurier et plus accrocheur que son vrai faux successeur. Un véritable album constitué de huit morceaux. Huit morceaux qui n'ont pourtant rien à voir les uns avec les autres. "Dive" et "Sliver" proviennent d'un single hors album (hors "Bleach" donc) de 1990, "Stain" est extirpé de l'EP "Blew". Le terriblement pop et addictif "Been A Son" nous vient de la poubelle (en tout cas dans cette version), "Turnaround", "Molly's Lips" et "Son Of A Gun" sont respectivement nés chez la famille DEVO (et cela s'entend) et THE VASELINES, la version speedée du Nevermindien Polly est un autre titre sorti du vide-ordures (Geffen a le bras long). Et tout ce petit groupe nous construit sans le vouloir un disque remarquable, court mais remarquable. Très "Bleach" dans l'idée, année d'écriture oblige, avec un soupçon de facilité qui fit le succès de l'opus de 1991.

Puis l'impression de s'être fait refourgué une mix-tape curieuse par un ami binoclard issu d'un film de Kevin Smith (le barbu devant et derrière la caméra de Clerks).
Car l'affaire se corse avec le noisy et très pesant (ou juste mal écrit et répétitif) "Beeswax", rareté enregistrée en 1988, sortie sur une obscure compilation en 1991, suivi du presque aussi difficile "Downer", composé par Kurt Cobain pour son précédent groupe, FECAL MATTER et "Mexican Seafood". Et voilà "Hairspray Queen", du SONIC YOUTH pas pensé (et que vivent les raccourcis rapides), une tentative bruitiste sans queue ni tête avec un étrange refrain qui ne sauve pas l'animal du désastre sonore. "Aero Zeppelin" plonge dans les archives pour nerds musicologues et s'entend alors (ah bon ?) l'influence des SCRATCH ACIDS, artiste texan éminent, sur les débuts de NIRVANA. Et "Big Long Now" frise le doom le plus dépressif. Et "Aneurysm", déjà entendu par ceux qui ont un jour possédé le single "Smells Like Teen Spirit" clôt l'affaire dans le même esprit noisy expérimental.

Deux tentations donc, deux volontés, deux visions de NIRVANA. La première passe en radio (même si, encore une fois, le son n'affiche pas la prétention FM de "Nevermind"), la deuxième ne concerne que les vrais alternatifs. Je ne suis pas de ceux-là, j'aime souvent le facile en rock (nettement moins en metal). Peut-être uniquement pour cette raison, "Incesticide" est une déception auditive. Il termine pour moi vraiment mal et se perd complètement à certains moments (l'immondice boutonneux "Hairspray Queen"). Mais en tant que simple archive musicale très intelligemment rangée (il fallait penser à cette dichotomie totale et parfaitement logique entre première et deuxième parties du disque), cette galette mérite qu'on s'y attarde et qu'on l'étudie. Tout est donc ici question d'état d'esprit.